Pour de nombreux musiciens, les Sequenze incarnent le summum de l’exigence. En revanche, leurs acrobaties notoires peuvent intimider l’auditeur moyen. Cette deuxième édition de Staging the Concert pourrait bien changer la donne. Dans la nouvelle production Sequenze de Bozar et Not Standing, cinq musiciens et cinq danseurs entreprennent un voyage aventureux avec le public. La rencontre entre la musique et le mouvement ouvre des voies d’accès insoupçonnées à ce répertoire extraordinaire et jette une lumière nouvelle sur la poésie de la virtuosité. La dramaturge musicale Katherina Lindekens nous parle du processus de création.

29 janvier
« Nous aussi, nous faisons parfois du bruit »
Dans une salle de réunion de Bozar, le chorégraphe Alexander Vantournhout rencontre les cinq musiciens qui interpréteront une sélection des Sequenze de Berio. Ces derniers mois, danseurs et musiciens ont préparé séparément cette production passionnante. Aujourd’hui, ils se rencontrent pour la première fois. Pendant que les autres danseurs répètent, Alexander donne quelques explications sur l’approche chorégraphique.
Cinq Sequenze et autant de chorégraphies feront vibrer le Palais des Beaux-Arts jusque dans ses moindres recoins. De la Salle des Banquets à la Rotonde Bertouille, en passant par le Hall Horta, la Salle du Conseil de la Rotonde et l’emblématique Salle Henry Le Bœuf, l’architecture sensuelle de Victor Horta sera un acteur essentiel de ce spectacle. Chacune des chorégraphies, développées par Alexander et quatre autres danseurs de sa compagnie Not Standing, jouera avec le bâtiment et les rituels du public qui s’y déplace.
De même que chaque Sequenza possède sa propre sonorité et sa propre structure de composition, chaque chorégraphie s’inscrit dans une perspective différente. Certaines se greffent sur la structure musicale, d’autres établissent un lien associatif avec des caractéristiques instrumentales ou des éléments architecturaux. Au cours de la semaine précédant la création, les cinq performances et l’œuvre musicale prendront leur forme définitive.
Cette première rencontre est un jeu à tâtons. Alexander demande par exemple comment les musiciens veulent s’asseoir ou se tenir debout, et s’ils sont capables de jouer certains passages de mémoire, ce qui n’est pas évident dans ce répertoire. Il présente également quelques options chorégraphiques dont on ne sait pas encore si elles seront retenues. Se faire traîner ou retourner pendant que l’on joue ? Aucun problème. Jouer à côté d’un vélo sur rouleaux ? Aucun problème. Ces musiciens n’ont clairement pas froid aux yeux. Lorsqu’Alexander avoue prudemment que les danseurs feront même parfois du bruit, l’accordéoniste An Raskin répond : « Tant mieux. Cela libère de l’énergie supplémentaire que l’on peut utiliser en tant qu’interprète ».
Après la réunion, nous explorons le parcours du spectacle et les musiciens rencontrent les danseurs qui interpréteront « leur » Sequenza, parfois en solo, parfois en duo ou en groupe. Certains d’entre eux sont issus du cirque ou de l’acrobatie, d’autres de la danse contemporaine. La frontière fertile entre ces disciplines est un territoire familier pour Not Standing. Dans leurs productions, Alexander et ses collègues ont souvent exploré ce dont les corps individuels sont capables lorsqu’ils unissent leurs forces. À cette recherche s’ajoute ici l’élément de la musique en direct : à quoi ressemble le contrepoint entre la musique et le mouvement ?

10 février
Sequenza II – « Si vous tombez, visez ma tête plutôt que la harpe. »
Le premier jour des répétitions commence par une scène à couper le souffle. De loin, on dirait une peinture rococo typique : un ensemble de chambre dans la Salle des Banquets. Mais la réalité est plus proche de la harpe hybride incrustée de corps humains de L’Enfer de Jérôme Bosch. Au-dessus de la tête de la harpiste Mathilde Wouters, une fleur humaine bourgeonne, composée des corps enchevêtrés de Chia-Hung Chung et d’Axel Guérin.
Qu’en penserait Berio ? Il hocherait peut-être la tête d’un air approbateur. Ce n’est pas pour rien que sa Sequenza II musclée a réduit en miettes l’image clichée que la harpe véhiculait depuis le XIXe siècle. Gémissant sous son succès dans la haute société, l’instrument a été progressivement réduit à une caricature romantico-impressionniste, mettant en scène une harpiste fragile, de préférence aux cheveux longs. Berio a rétabli l’honneur de l’instrument et de son interprète en leur montrant tous les recoins musicaux de la salle. Il a ainsi puisé dans la riche histoire de la harpe dans les styles et les traditions les plus divers, et redéfini l’instrument comme un parangon de puissance, de dynamique et de couleur.
En termes d’acrobaties, Mathilde n’est pas en reste par rapport aux danseurs : ses bras, ses jambes et ses pieds sont parfois sollicités en même temps. La tête froide, elle joue tandis que Chia-Hung, Axel et Alexander forment une sculpture vivante juste derrière elle. La seule phrase qu’elle laisse échapper est la suivante : « Si vous tombez, visez ma tête plutôt que la harpe ». Même le bruit des chariots de transport qui s’entrechoquent et des conversations des manutentionnaires d’œuvres d’art qui montent une nouvelle exposition ne déstabilise pas Mathilde et les danseurs. Pendant la pause de midi, ils découvrent qu’ils suivent des régimes d’entraînement similaires. Si l’on en fait trop, on a des ampoules ou des muscles endoloris. Si l’on n’en fait pas assez, on perd les callosités et la forme.
Sequenza III – « Mon coude n’est plus mon coude »
Après un échauffement collectif, passons à la Sequenza III pour voix de femme, peut-être la plus célèbre de la série. La soprano Esther-Elisabeth Rispens décrit cette composition comme une lettre d’amour de Berio à son ancienne épouse, la légendaire chanteuse Cathy Berberian. L’œuvre est un tour de montagnes russes dans le paysage de la voix humaine. Berio fait chanter, rire, chuchoter et marmonner l’interprète, le tout suivant une palette détaillée d’indices expressifs. Tendues, anxieuses, excitées, rêveuses, sereines, spirituelles ou nobles : les émotions se succèdent à un rythme effréné.
Berio fait-il ici un clin d’œil à l’archétype de la mad song ou à la clownerie domestique de Berberian ? Quoi qu’il en soit, c’est dans ce « zapping » débridé que réside la véritable virtuosité de cette Sequenza, avance Esther-Elisabeth. « Elle exige une énorme agilité mentale et vocale. Comment deux courtes notes peuvent-elles être sereines ? En un rien de temps, elles sont terminées. Chercher le lyrisme derrière la folie, voilà le défi pour moi. Ce n’est qu’alors que cette œuvre révèle son véritable impact. Je pense qu’il me faudra toute une vie pour y parvenir. »
Si cette Sequenza semble parfois humoristique, le poème sur lequel elle s’appuie trahit aussi la peur et la solitude : « Give me a few words for a woman / to sing a truth allowing us / to build a house without worrying before night comes ». Face à la frénésie musicale, les danseurs ne placent pas une approche spectaculaire, mais une contre-voix d’une force contenue. Dans ce qu’ils appellent un « solo assisté », ils multiplient et amplifient les mouvements d’Esther-Elisabeth. C’est ainsi qu’une créature à plusieurs têtes apparaît sur le balcon de la Salle du Conseil de la Rotonde, comme un mobile mis en mouvement par le son lui-même.
Les danseurs semblent être des prolongements du personnage central. Tantôt ils le réconfortent, tantôt ils le réduisent au silence. Ou bien est-ce la chanteuse qui anime son public ? Qui est la marionnette, qui la manipule ? « Ce projet me touche personnellement », confie Esther-Elisabeth. « Mon coude n’est plus mon coude. Je suis littéralement soutenue par le groupe. Peut-être qu’il me touche autant parce que j’y vois un symbole de l’attention extraordinaire que les danseurs se portent mutuellement et à notre égard. Je suis déjà nostalgique à l’idée que cette production se termine la semaine prochaine. »
Même en tant que spectateur, on ressent l’humanité qui traverse ce solo assisté. Mais l’espace fait également son œuvre : ce qui semblait contrôlé et sûr dans le studio paraît plus grand que nature sur le balcon. L’œil du dramaturge Rudi Laermans voit passer tantôt des archétypes de l’iconographie chrétienne, tantôt leur inversion ironique. Comme les corps et les instruments, les espaces évoquent leurs propres associations.

11 février
Sequenza V – « Quel bel instrument... Je ne l’avais jamais entendu de si près auparavant »
Juste avant la répétition dans la Rotonde Bertouille, le tromboniste Joren Elsen fait rapidement quelques gammes. Une interprétation de la Sequenza V est toujours passionnante. La partition d’Elsen ressemble à un bricolage en carton qui permet d’éviter le retournement des feuilles. Comme dans la séquence pour harpe, Berio joue avec les connotations symboliques de l’instrument. Dans le cas du trombone, celles-ci riment à la fois avec les cavaliers de l’apocalypse et avec l’univers de la clownerie.
Dans l’exubérant premier mouvement, Berio prescrit un scénario théâtral. Le tromboniste doit lever son instrument vers le ciel à plusieurs reprises tout en explorant toutes les variations de couleur d’une seule note. Entre les deux, il y a de courtes exclamations et d’autres surprises vocales. Pour ce passage, Alexander garde un attribut en réserve : une petite platine qui résonne avec l’espace circulaire dans lequel nous nous trouvons.
Joren se laisse volontiers pivoter tout en suivant le script clownesque de Berio, faisant résonner généreusement le son de son instrument dans la salle. À action minimale, effet maximal, et nous sommes régulièrement pris de fous rires. « La différence entre un acteur et un clown », explique Alexander, « c’est que ce dernier sort de son rôle et le commente ». Le lien est vite fait avec la question existentielle « Pourquoi ? » par laquelle le tromboniste conclut le premier mouvement de Sequenza V.
Durant le reste de la composition, Joren est assis et les autres danseurs le rejoignent. Ils portent chacun un bas vert jusqu’au genou. Pour leur matériau ingénieux consistant en une série de variations sur des mouvements de glissement et de torsion dans différentes constellations, ils utilisent le vocabulaire créatif si caractéristique des productions de danse. Des termes comme « hug slide », « espresso stand » et « jewels » vont et viennent. Mais le jargon musical trouve également son chemin vers leur langage. « Commençons au point d’orgue », lance quelqu’un. Joren, à son tour, trouve facilement ses marques dans la chorégraphie.
« Quel bel instrument », soupire Alexander à la fin de la répétition. « Je ne l’avais jamais entendu de si près auparavant. » Il est également impressionné par la dynamique musicale en direct, parfois atténuée sur les enregistrements. Dans la Rotonde, le trombone se fait parfois assourdissant, mais Berio le laisse aussi chuchoter.
Sequenza XIII – « Sempre ppp e lontano »
« Extrêmement douce et lointaine », écrit Berio en tête de sa Sequenza XIII pour accordéon. Si le compositeur était parmi nous cet après-midi, je suis sûr qu’il nous lancerait à nouveau un regard satisfait. Sa directive convient à merveille au duo qui se rencontre à l’occasion de cette Sequenza. L’accordéoniste An Raskin et l’acrobate Chia-Hung Chung sont de grands artistes. Ils se donnent rendez-vous dans la Salle Henry Le Bœuf, temple glorieux du répertoire symphonique, hanté par un peu moins d’un siècle de sonorités orchestrales disparues.
La configuration classique de la salle sera exceptionnellement modifiée. Le public sera assis dans la Corbeille tandis qu’à mi-chemin du parterre, une table lumineuse s’élève au-dessus du velours rouge. Il s’agit d’un « podoscope », sur lequel Chia-Hung effectuera une performance acrobatique. Ses mouvements sont projetés sur un grand écran au niveau de l’orgue. Quelque part entre l’écran et la table se trouve An, dont l’accordéon ressemble à une sorte d’orgue miniature. Je n’ai jamais vu cette salle ainsi. Elle semble irréelle, comme s’il s’agissait du décor d’un rêve.
Au début des répétitions, une légère tension plane dans l’air. « C’est une œuvre tellement difficile », dit An avec le sourire, « heureusement, il nous reste encore quelques jours ». Peu après, l’anxiété fond comme neige au soleil. Chia-Hung et An sont sur la même longueur d’ondes pour aborder la Sequenza XIII. « Beaucoup d’interprètes s’attachent à la virtuosité », explique An, « mais je ne pense pas que ce soit le but de cette œuvre. Elle est la seule Sequenza à porter un sous-titre : "Chanson". Et c’est ainsi que je la vois vraiment, comme une chanson au thème récurrent qui s’amplifie et s’éteint à nouveau. Entre les deux, il y a des éclats, des centaines de détails. Mais on revient toujours à ce refrain ».
Ses propos rappellent le type de virtuose que Berio avait à l’esprit. Ses Sequenze n’étaient pas destinées à des spécialistes de la technique pure, mais à des virtuoses de l’esprit, capables de s’approprier ses partitions vertigineuses et d’en explorer les profondeurs. C’est du moins l’objectif que s’est fixé An. « Je ne sais pas si je trouve cette composition belle », avoue-t-elle. « Mais si l’on dépasse la surface virtuose, elle est émouvante. Pour moi, il s’agit d’une œuvre qui parle de respiration, d’attention, ce qui convient parfaitement à cet instrument. En matière d’accordéon, tout est une question d’air et cela invite constamment le musicien à rechercher un état d’équilibre et d’enracinement. »
C’est pertinent, car l’équilibre et la respiration sont au cœur de l’interprétation de Chia-Hung. Sur les vagues du refrain, il a développé une séquence poétique autour des principes de contraction et d’expansion, avec des positions qui défient la gravité. C’est la partie la plus circassienne de la soirée. « Comme la musique, ce que fait Chia-Hung est extrêmement difficile », me souffle Alexander, « mais il est tellement entraîné qu’on l’oublierait presque. Grâce au podoscope, nous comprenons mieux ce qui se passe. Nous pouvons voir chaque point de pression et ressentir plus intensément la virtuosité. »
Ce que le podoscope apporte à notre compréhension de la chorégraphie, la danse en tant que telle le fait peut-être pour notre compréhension de la musique. Je ne cesse de m’étonner en constatant à quel point les chorégraphies m’apprennent à mieux écouter, comme si une synesthésie se produisait entre l’œil et l’oreille. Ce qui semblait difficile devient évident. De temps en temps, j’ai l’impression de voir la musique elle-même en mouvement. C’est particulièrement vrai pour la performance la plus longue de la soirée : la Sequenza VIII pour violon.

12 février
Sequenza VIII – « Après Berio, tout est facile »
Ce palais est celui de nombreux arts. Toute la semaine, nos répétitions ont été drapées dans les autres activités qui font vibrer Bozar. Pour répéter la Sequenza VIII, il a fallu attendre l’heure de fermeture. En effet, cette performance se déroule dans le monumental Hall Horta, où un imposant escalier mène aux salles d’exposition.
Sur un palier, un personnage surprenant se tient prêt : le StairMaster. À mes yeux, l’appareil de fitness ressemble à un engin de torture, mais si vous y mettez les bons athlètes, les escaliers qui roulent sans fin prennent une poésie enchanteresse. Place à Emmi Väisänen et Esse Vanderbruggen, deux membres phares de Not Standing. Elles se sont plongées dans la partition au cours des derniers mois, jusqu’à en connaître la musique sur le bout des doigts. Ensemble, elles ont développé une série de permutations et de variations sur le thème de la montée des escaliers. Parfois, elles suivent littéralement la partition, d’autres fois, la musique et le mouvement suivent leur propre chemin.
Il s’agit là aussi d’une des méthodes favorites de Not Standing : se plonger dans une technique ou un mouvement et continuer à chercher jusqu’à en avoir découvert toutes les variations possibles. Lors d’un échange dans la foulée d’une précédente production, j’ai entendu Emmi dire : « Nous aimons nous enliser dans quelque chose, continuer à chercher ». Que Berio croise un jour le chemin de ces artistes était écrit dans les étoiles.
Le violoniste Wibert Aerts se sent certainement proche de la curiosité et l’esprit de recherche de Not Standing. Pendant des années, la séquence pour violon de Berio a été pour lui une compagne fidèle, et il n’est pas prêt d’en rester là. « C’est grâce à cette œuvre que j’ai appris à jouer du violon », dit-il. « Tant mentalement que physiquement, Berio vous pousse dans vos derniers retranchements en tant que violoniste. J’ai dû réinventer toute ma technique de jeu. Après cela, tout est devenu facile. » (rires)
La performance de la Sequenza VIII dure un petit quart d’heure et se déploie à partir d’un groupe de deux notes obstinées : la et si. Les séquences pour trombone et accordéon ont déjà prouvé la puissance d’une seule note répétée ou d’un thème récurrent. Dans le cas du motif central du violon, la pulsation sourde et la robustesse de la qualité tonale sautent aux yeux. Wibert décrit cette sonorité comme étant issue du granit. Il est donc difficile d’imaginer un cadre plus approprié que le Hall Horta, même si l’instrument du XVIIe siècle qu’il joue émet une lueur chaleureuse dans la pièce.
Des passages complexes et d’une rapidité hallucinante se développent entre les itérations du motif central. « Berio flirte avec les limites du jouable », dit Wibert, « mais c’est précisément là que se trouve l’expression. Sinon, la virtuosité serait creuse. » Tandis qu’il parcourt les notes, je réalise l’ampleur de la dimension physique des Sequenze de Berio pour les musiciens également. La musique est mouvement, et vice versa. Sous cet angle, chaque interprétation devient une sorte d’« arrangement ». Les solos de Berio se font à la fois musique de chambre et chorégraphie de groupe.
L’objectif de la répétition de ce soir est d’explorer les relations entre les tempi musicaux et chorégraphiques. En effet, jusqu’à présent, Emmi et Esse se sont entraînées sur base d’un enregistrement, et si cette semaine a permis de constater quelque chose, c’est bien la richesse du direct. Alors qu’elles craignaient auparavant de ne pas entendre certains motifs, c’est le contraire qui s’est produit. Même les premières mesures du violon et les premiers pas sur le StairMaster se déroulent plus facilement que prévu, grâce à l’excellente écoute de tous les participants.
Mais c’est alors que les choses menacent de se gâter. Le StairMaster détourne l’attention en accélérant de manière inattendue, rendant la chorégraphie méticuleuse quasi irréalisable. Que se passe-t-il ? La longue répétition a provoqué une surchauffe de la machine, ce qui a entraîné un accelerando incontrôlé. Heureusement, les danseuses gardent la tête froide, malgré la fatigue. Même les machines ont leurs limites, c’est un point d’attention ludique mais à prendre en compte pour la répétition générale et la première, qui se rapprochent de plus en plus.

14 février
« Il est difficile de trouver une raison de sauter »
Alors que je finalise ce récit de témoin oculaire, Alexander me fait parvenir quelques notes. Elles concernent le mot que nous avons entendu et utilisé peut-être le plus souvent cette semaine : virtuosité. Comme en musique, les notes d’Alexander révèlent que ce terme est également chargé d’une réputation douteuse dans le monde de la danse :
La virtuosité semble être une zone interdite de la danse contemporaine, à l’exception des variantes « empruntées » telles que le breakdance et le vogueing. Les sauts en hauteur et autres réalisations acrobatiques ont toujours leur place dans le cours de ballet du matin, mais l’après-midi, ils disparaissent du menu.
Je me demande pourquoi la virtuosité est si souvent considérée comme dénuée de contenu et de sens. Sa forme et son contexte sont porteurs de multiples types d’informations, qui peuvent ou non être déployées. Pour ma part, je n’ai jamais eu peur de la virtuosité et je continue à l’utiliser, en prêtant attention à l’intensité, au timing et à la saturation.
Je pense parfois à une phrase célèbre de Jonathan Burrows : « Il est difficile de trouver une raison de sauter ». Peut-être qu’après ce projet, je n’aurai plus à réfléchir autant et que je pourrai déployer la virtuosité telle qu’elle se manifeste dans la musique.
Bozar m’a invité à travailler autour de Berio. Et Berio explore les impossibilités, comme jouer 16 notes par seconde, sauter d’un extrême à l’autre, et toute une série de techniques de jeu inappropriées.
Je pense que la virtuosité peut être comprise dans un sens large. Les robots humanoïdes ne peuvent pas marcher correctement, et de leur point de vue, le simple fait de marcher est virtuose. C’est juste une question de perspective.
Je repense à la combinaison de l’exubérance et de l’énergie contenue dans la Sequenza III. Au ballet des parties du corps sur le tabouret de la harpe dans la Sequenza II, ou aux trompe-l’œil poétiques sur le podoscope dans la Sequenza XIII. Au chant, au jeu, au glissement et au flottement de la Sequenza V. À l’élan inéluctable de la Sequenza VIII. La virtuosité vient souvent d’endroits inattendus et n’est pas nécessairement en contradiction avec la sophistication. Peut-être ces petits bijoux hybrides les remettront-ils à l’honneur.
Vous arrivera-t-il de vous mettre spontanément à danser sur une Sequenza de Berio ?
Katherina Lindekens