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« J'essaie beaucoup de choses qui sortent de ma zone de confort. »

Martin Frost, clarinettiste

Martin Fröst est l'un des clarinettistes actuels les plus innovants. Ses programmes audacieux font le bonheur de publics variés et, en tant que chef du Swedish Chamber Orchestra, il attire également l'attention avec des projets sortant des sentiers battus. Il évoque avec enthousiasme de sa collaboration avec Anna Clyne.

Lorsqu'on lui demande comment il se caractériserait en tant que musicien, Martin Fröst doit réfléchir longuement et, au cours de l'entretien, il reviendra plusieurs fois sur ce sujet avec quelques explications philosophiques. Il exprime tout d’abord de la gratitude envers ses parents qui lui ont donné la possibilité d’opter pour une carrière de musicien. « J'ai grandi dans le nord de la Suède, dans une ville où la culture n’était pas très présente. Heureusement, mes parents ont eu l'intelligence de ramener à la maison toutes sortes d’instruments. »

Le plaisir d’abord
« J'ai commencé à jouer du violon, mais sans succès, je n’y arrivais pas du tout. J'ai alors essayé toutes sortes d’instruments, y compris la clarinette, et c’est en découvrant le Concerto pour clarinette de Mozart pour la première fois vers l'âge de neuf ans que j'ai été convaincu. J'ai pris la clarinette très au sérieux et, à 15 ans, je suis parti seul pour le conservatoire de Stockholm, où mes camarades de classe avaient plus de cinq ans de plus que moi.

À l'époque, je ne me suis jamais demandé si j'avais la bonne attitude. J'étais concentré au maximum pour apprendre à jouer de la clarinette le mieux possible. Récemment, cependant, un jeune étudiant m’a posé une question étonnamment surprenante lors d'une master class : "Quel conseil vous donneriez-vous si vous aviez à nouveau dix-neuf ans ?" Je lui ai répondu : "Prendre plus de plaisir !" Car je prenais tout très au sérieux et mon autocritique était impitoyable. Je ne me donnais pas la chance de m'amuser dans mes études.

Heureusement, j'ai appris au fil des ans à apprécier davantage le moment présent et à créer à chaque fois quelque chose de beau, ici et maintenant. Je ne sais pas d'où vient ma curiosité pour les choses nouvelles, mais j'ai toujours ressenti une forte envie d'expérimenter.

La base de mon jeu repose sur le répertoire classique, mais en dehors de cela, j'aime beaucoup jouer de nouvelles compositions et chercher de nouvelles façons de présenter la musique classique à un public aussi varié que possible. Pour ce faire, j'essaie beaucoup de choses nouvelles qui sortent de ma zone de confort, comme danser ou chanter en jouant de la clarinette. C'est précisément parce que je ne me sens pas facilement à l'aise que ce genre d’expérimentation n’est pas synonyme de pression supplémentaire. Ce sentiment d'inconfort fait partie de moi et ne m'empêche pas d'être performant et de relever de nouveaux défis. »

Collaboration
Une caractéristique importante de Fröst, de son propre aveu, est sa capacité à bien collaborer. Que l'on soit chef d'orchestre ou soliste, ou les deux, comme Fröst, la base d'un concert réussi est une bonne collaboration et une bonne communication avec l'orchestre. Il partage ce besoin de collaboration avec la compositrice Anna Clyne.

« Nous avons eu beaucoup de contacts cet été. J'ai parlé de moi, j'ai montré différentes techniques de jeu et Clyne a commencé à travailler sur cette base. Elle a écrit une pièce fantastique. Nous nous sommes demandé ensemble ce qu'il était possible de faire avec une clarinette. Dans une partie, je dois chanter tout en jouant. Je lui avais moi-même suggéré cette technique, mais elle m'a vraiment poussé à aller plus loin. » 

Anna Clyne © Christina Kernohan

Anna Clyne, compositrice : « Collaborer est une source d’inspiration »

La compositrice Anna Clyne a immédiatement suggéré d'impliquer le clarinettiste Martin Fröst dans cette interview : après tout, sa nouvelle œuvre a été créée en collaboration avec lui. Cela illustre bien son approche qui cherche toujours à établir des liens avec les musiciens, les artistes et la communauté pour lesquels elle écrit.

C'est d'ailleurs Fröst qui a choisi Clyne pour lui commander une composition. « Une telle collaboration représente une grande source d'inspiration. J'ai commencé par écouter ses enregistrements pour me faire une idée de sa personnalité en tant que musicien et, bien sûr, de son incroyable virtuosité. Dès le début, le processus a été très intéressant, avec une étroite collaboration. J'ai vraiment apprécié son ouverture d'esprit. »

Tout a commencé par une rencontre en ligne, au cours de laquelle il m'a montré toutes sortes de techniques spéciales, telles que chanter et jouer en même temps, la flatterzunge (technique de soufflage où le musicien fait rouler la lettre "r" sur le bout de sa langue, ndlr) et d'autres effets spéciaux intéressants. À partir de ces informations, j'ai réalisé cinq esquisses avec différentes ambiances et je les ai envoyées à Martin. En ligne, nous avons discuté des esquisses et il m'a fait part de ses commentaires sur ce qui fonctionnait ou pas, sur ce qui pourrait être écrit de manière encore plus adaptée à l'instrument. Grâce à ses commentaires, j'ai remanié mes idées pour la clarinette et l'orchestre. J'ai envoyé chaque partie, une fois qu’elle était terminée, à Martin, et il m'en a joué des extraits en ligne. Il a vraiment été un partenaire dans le processus du début à la fin, ce qui a été très inspirant.

L'amour de la mélodie
Pour Anna Clyne, c'est aussi à travers la collaboration que tout a commencé. « Lorsque j'avais sept ans, nous avons acheté un piano auquel il manquait quelques touches aiguës. J'ai donc écrit de petites compositions en évitant ces touches. L'une de mes meilleures amies jouait de la flûte, j'ai donc écrit des morceaux pour flûte et piano. Chez nous, on écoutait de la folk et de la pop : Bob Dylan, Fleetwood Mac, David Bowie. Bien que j'écrive dans un langage musical différent, l'amour de la mélodie est resté très important pour moi.

Je n'ai eu mon premier professeur de composition qu'à l'âge de 20 ans. C'est un peu tard pour commencer les cours, mais rétrospectivement, je me considère chanceuse. Si on se retrouve sous l'aile d'un professeur trop tôt, on risque de ne pas savoir exactement ce que l’on veut exprimer dans sa musique, et d’être facilement submergé par le style de son mentor. À vingt ans, je savais très bien ce que je voulais dire, il me manquait simplement les outils musicaux pour le faire. »

À la Queen’s University canadienne et à la Manhattan School of Music, la compositrice née à Londres a pu affiner ses techniques auprès de Julia Wolfe. « Je suis très reconnaissante pour ces leçons. J'adore la musique de Julia et je me sens privilégiée d'avoir pu, grâce à elle et à Bang on a Can (l'ensemble et le collectif de compositeurs cofondés par Wolfe, ndlr), entrer en contact avec la communauté musicale new-yorkaise. Son incroyable amour de la collaboration a également eu une grande influence. Elle m'a appris à faire confiance à mon intuition en tant que compositrice. Si vous parvenez à faire confiance à vos intuitions créatives, vous avez déjà gagné la moitié de la bataille. »

Ces entretiens ont été publiés précédemment dans Preludium, le magazine de programme du Concertgebouw et du Royal Concertgebouw Orchestra.