Beier mène une carrière internationale qui l’a récemment amenée à présenter des rétrospectives importantes en France, en Finlande et au Mexique. Après plusieurs projets en Belgique au fil des ans – d’Objectif Exhibitions à Anvers au Kunsthal de Gand et à la Triennale de Beaufort –, il s’agit de sa première exposition institutionnelle à Bruxelles.
La sélection d’œuvres pour cette exposition de moyenne envergure dans les Antichambres de Bozar couvre la période allant de 2013 à 2025 et présente un brassage de matériaux et d’objets auxquels la production, l’utilisation et la circulation ont procuré de la signification. Si les dialogues entre les objets exposés sont parfois complexes, voire contradictoires, les compositions paraissent motivées par des rapports formels relativement simples. Elles offrent une variété de dynamiques : certaines se dressent à la verticale comme des totems, d’autres gisent au sol comme des pierres tombales, tandis qu’une autre encore est suspendue au plafond ; une pièce est encastrée dans le mur et une autre semble en émerger. Et au cœur, ou à l’intersection de l’exposition, dans la rotonde centrale, deux sculptures tournent en permanence sur leur axe.
Les juxtapositions de stratégies auxquelles Beier a souvent recours dans ses installations remettent en question ou subvertissent les idées volatiles que véhiculent les objets qu’elle choisit. Ses œuvres oscillent entre la présence matérielle et l’image qu’elles projettent, défiant toute perspective ou interprétation unique. Par exemple, les deux sculptures rotatives intitulées Beast (2018-2024) sont des taureaux de rodéo sur le dos desquels Beier fait reposer en équilibre des bidons en plastique contenant du lait en poudre pour bébés produit industriellement. Ces bêtes de somme muettes tournent pour notre bon plaisir, dans un mouvement saccadé conçu pour désarçonner le cavalier.
Fabriquée à partir de matériaux similaires à ceux de Beast et selon un processus industriel, Great Depression (2023) est cependant recouverte d’un revêtement pastel. Malgré l’évocation subtile de l’organe génital féminin, il s’agit bel et bien d’une baignoire de designer, encastrée verticalement dans le mur, dont la bonde se compose d’un rouleau de billets de banque, une forme énigmatique oscillant entre acte pornographique et salle d’exposition de mobilier de salle de bains.
Sur le sol de l’une des salles, Beier a installé son œuvre récente Sculpture (2025), une série de pierres tombales en forme de livres sculptés dans la pierre. Laissés vierges, sans inscription de nom ou de détails biographiques d’une personne, ces ready-made deviennent universels. Leur poids contraste avec la légèreté des tubes en carton souple de rouleaux de papier toilette et essuie-tout sur lesquels reposent les sculptures. Ces petites formes, qui ressemblent à des véhicules à chenilles, évoquent une rencontre entre le marbre qui défie le temps et qui est aussi très présent dans l’architecture de la salle, et les rouleaux en carton facilement disponibles, en général éphémères, souvent confiés à des enfants pour créer leurs premières sculptures.
Dans la galerie courbe qui longe un côté de la rotonde, Beier présente sa série Real Estate (2013) qui réunit des appui-tête provenant de sièges divers, à savoir de voiture, de bureau et de massage, montés comme des bustes sculpturaux classiques sur des socles en marbre de hauteurs différentes. L’ensemble suscite presque l’impression d’une gamme de personnages, et nous permet à la fois de nous appesantir sur les formes ergonomiques conçues pour accueillir des têtes fatiguées.
Fleet (2024) est un ensemble de maquettes de bateaux de croisière que l’industrie touristique utilise pour la promotion et vente de voyages. Les bateaux miniatures sont suspendus au plafond et rappellent les navires votifs qui ornent souvent des églises scandinaves, un geste de gratitude de marins reconnaissants d’avoir échappé à un naufrage grâce à une intervention divine. La disposition en flottille est une reprise d’un trope publicitaire auquel ont recours la plupart des compagnies de croisière, associant l’évasion luxueuse à une image militaire agressive. Les maquettes sont remplies d’un mélange de sable et de sucre, deux matériaux qui partagent des propriétés formelles et jouent un rôle majeur dans l’histoire de l’économie extractiviste internationale.
Et pour finir, une nouvelle pièce réalisée pour l’exposition, Relief (2025), constituée d’un profil de lit et de chaise en bois, fixés au mur. Si les deux formes se font écho sur le plan formel, cet appairage petit-grand pourrait tout aussi bien évoquer une scène routinière entre un parent et un enfant à l’heure du coucher que celle d’une personne malade au chevet de laquelle est assis quelqu’un qui la veille. En ce sens, l’œuvre est aussi insaisissable que son titre, qui décrit sa forme d’image « en relief », mais aussi une émotion mitigée.
L’œuvre de Beier ne se laisse pas enfermer par une interprétation unique : « Il me semble que le sens s’échappe de mes objets », a-t-elle déclaré dans une récente interview pour Bozar. Et d’ajouter : « En fin de compte, je pense que le sens relève moins d’une affirmation intentionnelle que d’un message transmis sans paroles. »
Commissaire : Zoë Gray
Cette exposition est présentée dans le cadre de la Présidence danoise du Conseil de l'Union européenne.

Biographie de l’artiste
Nina Beier (°1975, Aarhus, vit et travaille à Copenhague).
Récemment, l’œuvre de Nina Beier a fait l’objet d’expositions rétrospectives au Capc à Bordeaux, France (2024) ; au Kiasma à Helsinki, Finlande (2024) ; au Musée Tamayo, Mexique (2024). Et de récentes installations à grande échelle ont été présentées au Musée d’art moderne Louisiana à Humlebæk, Danemark (2025) ; au Mudam à Luxembourg (2024) ; à Lafayette Anticipations à Paris, France (2024) ; à l’Art Sonje Center à Séoul, Corée du Sud (2023) ; à Haus am Waldsee à Berlin, Allemagne (2023) ; à la Biennale de Lyon, France (2022) ; à la Biennale de Busan, Corée du Sud (2022) ; dans le High Line parc à New York, USA (2022) ; au Hammer Museum, Los Angeles, USA (2022) ; à la Pinacoteca Agnelli à Turin, Italie (2022) ; à la Biennale de São Paulo, Brésil (2021).
Sur un brise-lames de Nieuport, une station balnéaire du littoral belge, est installé un groupe sculptural intitulé Men, désormais permanent, que l’artiste a conçu dans le cadre de la Triennale de Beaufort 2018.