Publié le - Wilson Le Personnic

Double entretien avec Will Guthrie et Mette Ingvartsen

La performance « All Around »

Le lundi 12 février, Will Guthrie et Mette Ingvartsen seront présents dans notre Hall Horta pour la performance « All Around ». Un entretien.

Mette, Will, All Around est une fusion de vos disciplines respectives. Pouvez-vous revenir sur votre rencontre et votre désir partagé de travailler ensemble ?

Mette Ingvartsen : J’ai contacté Will en 2014 parce que je souhaitais utiliser l'un de ses morceaux dans une performance que je faisais à l'époque. J'avais écouté en boucle Sticks, Stones and Breaking Bones, un solo de batterie que je trouve toujours aujourd’hui incroyable. Il m'a dit plus tard qu'il essayait de défier les limites humaines de vitesse et d'intensité en imitant les capacités d'une machine. Il nous a fallu ensuite quelques années pour développer un objet vivant ensemble. Finalement, nous avons trouvé un terrain de recherche commun qui croise certaines réflexions de nos deux recherches respectives : l’intensité d’un geste et les structures minimales qui se transforment… Je pense que c'est à partir de ces idées que nous avons commencé notre collaboration sur All Around.

Will Guthrie : J'avais déjà entendu parler du travail de Mette mais je n’avais jamais vu ses pièces jusqu'à ce qu'elle me contacte pour utiliser une de mes musiques dans sa création 7 Pleasures. Lorsque j'ai découvert la pièce sur scène, j'ai été très impressionnée par la manière dont elle avait réussi à travailler l’idée de mouvement de masse avec intensité tout en gardant la singularité de chaque danseur·euse. J’ai depuis vu plusieurs de ses pièces et je trouve toujours intéressant la manière dont elle travaille le corps et le mouvement. Lorsque cette collaboration s’est présentée, il m’a semblé évident que la communication allait être claire et directe.

© Hans Meijer

Mette, comment la musique de Will a-t-elle retenu ton attention ?

Mette Ingvartsen : Je me souviens avoir été époustouflée la première fois que j'ai entendu le morceau Sticks, Stones and Breaking Bones. Je suis fascinée par la manière dont Will est capable de maintenir l'énergie et la vitesse. J’aime son jeu extrêmement physique, quasi excessif. Sa pratique, qui est en grande partie basée sur l’improvisation, m’a ouvert une autre façon de travailler avec la musique.

Pourriez-vous retracer la genèse de All Around ?

Mette Ingvartsen & Will Guthrie : Nous avions envie de travailler sur les changements de vitesse, de dynamique, de densité et de texture de la musique et du mouvement, notamment sur comment les modulations rythmiques de la musique peuvent perpétuer les mouvements basés sur la rotation, le tournoiement et l'encerclement de l'espace. En développant ce motif répétitif sur une longue durée avec un niveau d’intensité très élevé, on imaginait produire un état hypnotique, presque de transe.  Nous avons donc pensé qu'il valait mieux le faire maintenant, car dans dix ans, nous ne pourrions sans doute plus le faire…

De quelle manière avez-vous accordé vos pratiques respectives ?

Mette Ingvartsen & Will Guthrie : Afin d’éviter les formes usuelles et littérales d'interaction entre le son et le mouvement, nous avons dès le départ formulé l’idée d’engager le travail de nos médiums respectifs en parallèle, qu’ils puissent coexister côte à côte et parfois fusionner avec des interactions directes. Nous avons aussi beaucoup échangé l’envie de réaliser une performance qui se situerait entre nos deux pratiques, ou comment inventer une forme hybride entre un concert et une performance. Donc, comment ne pas faire de la musique pour la danse ou l'inverse. Nous avons répété seulement trois semaines avant de présenter la première version de la pièce, ce qui est assez inhabituel pour une production de danse, mais plus fréquent dans le milieu de la musique improvisée. Depuis sa création en mars 2019, chaque nouvelle programmation est pour nous l’occasion de la retravailler et de la faire évoluer.

© Marc Domage

Pourriez-vous revenir sur le processus musical et chorégraphique de All Around ?

Will Guthrie
: Comme pour la plupart des projets de collaboration, j'ai apporté en studio des musiques sur lesquelles je travaillais déjà. J'avais fait de longues performances en solo, qui nécessitait un jeu de batterie très exigeant physiquement, avec une partition dont les variations étaient davantage dus à des défaillances physiques qu'à des décisions conscientes. Avec Mette, nous avions envie de  conserver cette intensité dans la musique de All Around, et de travailler sur l'idée de répétition et de changements très lents dans la musique.

Mette Ingvartsen : Avant de commencer à travailler avec Will sur ce projet, j'avais déjà commencé à expérimenter le turning comme une pratique qui, pour moi, consistait à faire le vide dans mon esprit, pour entrer dans un flux de mouvement. Ma précédente pièce 21 pornographies se terminait d’ailleurs par une séquence très simple où je tournais cagoulé pendant quelques minutes avec un tube lumineux tendu entre les mains. J’avais envie d’explorer ce motif et de l'étendre sur une longue durée. Finalement, All Around est très simple dans sa structure :  je tourne du début à la fin. Mais à l'intérieur de cette structure, j'essaie de moduler mon rythme en fonction des changements musicaux de Will. Penser le dispositif de la performance comme un espace englobant, avec le public assis en cercle autour de nous, a également été déterminant pour le développement de la chorégraphie. Cette proximité et la qualité immersive de l'installation sont, je pense, essentielles à la création de l'expérience intensive que nous recherchons dans cette pièce.