Taki Petrou - Accordeur

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Gardien de la justesse

Rencontre avec Taki Petrou, accordeur de piano attitré de Bozar

À l’entracte d’un récital de piano, alors que l’interprète reprend son souffle en coulisses et que le public court se désaltérer, un homme monte sur scène et s’installe au piano. Une clé à la main, il corrige la tension des cordes et répète inlassablement la même note jusqu’à obtenir la justesse voulue. Cet expert à l’écoute ciselée est Taki Petrou, accordeur des Pianos Maene pour Bozar. Dans cet entretien, il vous dit tout sur son métier et sa passion.

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D’où vous vient cette vocation ?

À l’âge de 9 ans, j’ai appris la musique en jouant de l’accordéon, puis j’ai étudié le piano et le violon. Bien que musicien dans l’âme, je travaillais dans une grande entreprise comme technicien spécialisé en mécanique. Grâce à un collègue de travail, ma carrière a pris un autre tournant. Lors d’une rencontre avec Chris Maene, la possibilité de travailler dans la musique s’est présentée et j’ai saisi cette opportunité. J’ai commencé à travailler pour Pianos Maene en 1986, cela fait donc 34 ans.

 

Depuis combien de temps accordez-vous les pianos à Bozar ?

J’ai suivi plusieurs formations comme technicien chez Steinway & Sons à Hambourg. J’ai accordé mon premier piano au Palais des Beaux-Arts en 2000, lorsque Pianos Maene a assuré la supervision de l’ensembles des pianos du Palais.

 

Comment se déroulent les rencontres avec les artistes. Ont-ils des exigences particulières ?

Les artistes qui se produisent à Bozar sont tous différents et ont des exigences spécifiques auxquelles je m’efforce de répondre dans la mesure du possible. En fonction de leurs demandes et du son qu’ils recherchent, les pianos sont accordés selon une technique un peu différente, allant du simple accord à l’harmonisation.

 

Quels sont les différents pianos de Bozar et comment s’effectue la sélection avant chaque concerts ?

Actuellement, il existe deux grands pianos Steinway de modèle D de concert et un piano de modèle B. En fonction du répertoire, le piano est choisi soit par Bozar soit par le/la pianiste, à sa demande. Le modèle B est généralement plus adapté comme piano d’accompagnement dans l’orchestre alors que les deux autres sont utilisés en concerto, récital ou musique de chambre. Les solistes jouent généralement sur le piano le plus récent, sauf à la demande spécifique de l’interprète qu’il/elle soit pianiste classique ou de jazz.

Taki Petrou - Accordeur
Taki Petrou © Bozar / Yves Gervais

Comment parvenez-vous à adapter le même instrument aux exigences variables des pianistes ?

En fonction des demandes des pianistes, je travaille sur le piano en l’accordant d’une certaine façon et en l’harmonisant si nécessaire. Nous entrons dans des considérations techniques qu’il est difficile d’expliquer. En réalité, les subtilités techniques permettent de parvenir à la sonorité souhaitée. Cela va du simple accord au travail sur les feutres ou encore à l'harmonisation complète.

 

Comment se déroule la préparation d’un récital de piano ?

Pour un récital, le piano est accordé avant la répétition puis, après celle-ci, j’ai un échange avec le pianiste pour voir s’il a des remarques ou des demandes spécifiques. J’accorde également le piano juste avant le concert et pendant l’entracte dans le cas d’ un récital. Il se peut en effet qu’une ou plusieurs notes aient « bougé », notamment à cause d’une fluctuation de la température dans la salle. Je contrôle donc chaque note durant l’entracte.

 

Pouvez-vous décrire l’acoustique du Palais des Beaux-Arts ?

Nous bénéficions d’une excellente acoustique, due à l’aménagement et à l’architecture de la salle. Contrairement à d’autres salles de concert qui peuvent présenter une acoustique sèche, celle du Palais des Beaux-Arts est optimale.

 

Avez-vous une anecdote marquante liée à Bozar ?

Je garde de nombreux souvenirs de rencontres avec les pianistes. Un des plus  marquants est celui d’un récital donné d’un pianiste de renommée internationale. Il s’est assis dans la salle et m’a demandé de jouer de façon à déterminer la meilleure place pour le piano et a finalement décidé de le laisser à sa place habituelle. C’était stressant de jouer devant un aussi grand pianiste.

Taki Petrou - Accordeur
Taki Petrou © Bozar / Yves Gervais

Quels liens avez-vous noués avec les pianistes ?

Cela va de la simple courtoisie à une amitié bien ancrée au fil du temps.

 

Y-a-t-il un musicien que vous rêvez de rencontrer ?

J’ai déjà rencontré la plupart des grands musiciens de notre temps mais si l’on pouvait remonter le temps je souhaiterais rencontrer le grand Vladimir Horowitz.

 

Lorsque vous écoutez un concert êtes-vous dans l’analyse du son ou parvenez-vous à vous laisser porter par la musique ?

J’assiste pratiquement à tous les concerts pour lesquels j’ai accordé le piano. Je parviens, en partie, à me laisser porter par la musique mais naturellement il m’est difficile d’enlever ma casquette professionnelle. J’ai toujours un peu de stress, notamment lorsque j’entends certains sons à l’unisson, lorsqu’une des 3 cordes associées à une note est légèrement désaccordée. D’autres facteurs me gênent, comme tout le monde, je pense en particulier aux toussotements, aux bruits d’appareils auditifs ou encore aux lumières des GSM. En général les concerts se passent bien mais l’on est jamais à l’abri d’une surprise comme une corde cassée ou le grincement d’une des 3 pédales du piano. Je fais toujours en sorte que ces problèmes soient résolus au plus vite de façon à ce que l’artiste ne soit pas longtemps incommodé.

 

Après autant d’années, la passion est-elle toujours là ?

Je suis heureux de dire que mon métier a été et reste, toujours d’avantage, une passion. Je considère être extrêmement privilégié de faire ce beau métier qui allie considérations techniques et rapports humains.