Tord Gustavsen

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Quand le choral devient mantra

Rencontre avec Tord Gustavsen

Le 10 février, le pianiste de jazz norvégien Tord Gustavsen sera sur la scène de Bozar avec son compatriote, le saxophoniste Tyrgve Seim, dans le cadre du festival Bach Heritage. Il nous en dit plus sur les liens qui l’unissent à ce compositeur et la lecture méditative, presque mantratique de ses chorals qu’il prend pour point de départ de ce projet.

Cet article s'intègre dans le cadre de

Bach Heritage Festival 2023

Vous souvenez-vous des sensations ressenties lors de votre première rencontre avec la musique de Bach ?

Enfant, je chantais à l’église et je me souviens d’une hymne appelée Velt alle dine veie en norvégien, il s’agit du choral Befiehl du deine Wege en allemand. J’avais été profondément marqué par sa mélodie magnifique et ses paroles apaisantes. Quelques années plus tard, écouter les cantates me faisait un effet quasi thérapeutique, comme des vitamines dont il me fallait ma dose chaque semaine. D’autre part, je jouais des pièces de Bach à quatre mains avec ma professeure de piano, et je n’ai toujours pas oublié la sensation physique que je ressentais lorsque la musique commençait à swinguer comme seule celle de Bach peut le faire. Quand toutes ces dimensions – analytique, musicale et spirituelle – se rejoignent, on peut vraiment parler d’une expérience totale puissante.

Vous avez inclus quelques chorals de Bach dans votre album The Other Side. Quelle était votre intention ?

En fait, cela s’est fait par hasard lors d’une répétition en trio. À la fin d’un de mes morceaux, j’ai commencé à jouer le thème de Jesu meine Freude. Les autres m’ont emboîté le pas, c’était vraiment très beau. Un dialogue s’est développé tout naturellement à partir de cette approche improvisée spontanée.

 

Comment votre connaissance de l’écriture de Bach a-t-elle influencé votre propre processus créatif ?

En résumant tous les styles qui l’ont précédé et en laissant derrière lui un héritage si durable de richesse et de cohérence mélodique et harmonique, Bach a influencé presque toutes les musiques qui l’ont suivi. Personnellement, j’ai toujours été inspiré par la dualité entre la passion et l’élégance, ou la retenue, que l’on retrouve dans le « feu silencieux » des chorals et de la polyphonie de Bach. C’est comme si un fil spirituel me reliait aux chorals qui ont été importants pour moi au fil des années. Ils sont en quelque sorte les pierres angulaires de ma personnalité musicale et spirituelle. Leur énergie est toujours présente lorsque je joue.

« J’ai toujours été inspiré par la dualité entre la passion et l’élégance que l’on retrouve dans le "feu silencieux" des chorals de Bach. »

Avez-vous également été inspiré par la manière dont d’autres artistes ont abordé Bach ?

Mon influence principale est celle de Glenn Gould. Sa manière de jouer Bach m’impressionne énormément. Je me sens aussi très inspiré lorsque je joue des œuvres de Bach avec une chanteuse et un violoniste improvisateur norvégien de musique folklorique. Ensemble, nous avons utilisé les chorals de Bach comme point de départ d’un projet et j’ai beaucoup admiré la façon dont ils les abordaient avec un tel degré de respect et de liberté.

Pour ce projet Inner Chorales, vous partagerez la scène avec Trygve Seim.

Trygve Seim est l’une des personnalités les plus originales et novatrices de la scène jazz contemporaine. J’ai hâte d’entendre quelle tournure il donnera à mes chorals préférés avec le son et le phrasé au saxophone dont lui seul a le secret. Le titre du projet s’inspire de notre approche : nous ne sommes pas dans une démonstration de virtuosité, mais nous cherchons plutôt à laisser de l’espace entre les notes, à travailler avec beaucoup de pianissimos. C’est comme si nous internalisions les chorals pour en faire des mantras méditatifs. Souvent, nous prenons le temps de répéter et de développer une petite cellule musicale avant de passer à la suivante.

Le choral est un genre lié au texte et pourtant, ce projet est exclusivement instrumental. Comment atteignez-vous cette pureté et quelle influence aimeriez-vous avoir sur le public à travers ce projet ?

Pour moi, faire de la musique, c’est trouver des résonances entre mon for intérieur et des cellules musicales miniatures, pour ensuite construire quelque chose d’organique sur cette base. Les chorals s’y prêtent à merveille. J’aimerais ouvrir un espace qui permette aux gens d’entrer en contact avec la vérité, la beauté et la bonté absolues qu’ils ont en eux. Lorsque je joue Befiehl du deine Wege, je fais l’expérience des mots d’une manière non dogmatique, spirituelle, même s’ils ne sont pas chantés à proprement parler. C’est comme s’ils résonnaient dans un coin de votre tête malgré tout.