« Pour moi, When We See Us, c’est la joie noire. Le pouvoir politique de la joie noire. L’émancipation noire et la victoire sur l’oppression. » C’est ainsi que la curatrice Koyo Kouoh, nommée entre-temps commissaire de la 61e Biennale de Venise, résume l’exposition. La joie noire est au cœur de l’exposition, qui rassemble des peintures classées par thèmes : du « Quotidien » à « Joie et allégresse » en passant par les chapitres « Repos », « Triomphe et émancipation », « Sensualité » et « Spiritualité ». On voit rarement autant de gens sourire dans une exposition. La gaité est contagieuse

Joyeux anniversaire
Les recherches pour When We See Us se sont déroulées en pleine pandémie de covid. Dès le départ, il était clair que l’accent serait mis sur le quotidien et les sources de joie de vivre : travailler dans le jardin, cuisiner ensemble, manger, boire, bavarder, faire de la musique, danser, faire l’amour, faire la fête, jouir de son corps, seul ou accompagné. Ou simplement ne rien faire. « Refuser le regard », comme l’exprime Koyo Kouoh. Au XXe et au début du XXIe siècle, la caméra a tendance à zoomer sur la violence et la douleur lorsqu’il s’agit de personnes de couleur. Certes, ces dernières années, c’est aussi par indignation. Black Lives Matter! Alors, que voit-on et qui voit-on ? Principalement l’héritage que d’autres continents ont légué à l’Afrique, les conséquences de l’esclavage, de l’apartheid et du colonialisme. Dans le domaine de l’autoreprésentation, c’était l’impasse. Pour briser ce regard extérieur, y a-t-il meilleure arme que la joie ? « Black Art Matters! », lit-on sur le tee-shirt de Koyo Kouoh.
« Je veux montrer le quotidien », explique Esiri Erheriene-Essi, l’une des artistes sélectionnées, « pas la lutte, la souffrance ou le traumatisme colonial. Je veux montrer ce que cela signifie de vivre à notre époque, qui montre le regard noir dans toute son ampleur ». Sa peinture prend pour point de départ une photo de Steve Biko, le militant sud-africain des droits civiques. Mais il ne s’agit ici pas de politique. Biko fête l’anniversaire de sa nièce avec un groupe d’amis, dans la bonne humeur. Il tient un gâteau d’anniversaire orné de trois bougies allumées. Le groupe d’amis profite visiblement du moment. « J’ai adoré voir la joie sur son visage, le voir si détendu en compagnie de ses amis. Je n’avais jamais vu cela auparavant. J’ai immédiatement voulu le peindre. »

Le canon de l'art noir
Pour Esiri Erheriene Essi, le concept de « représentation » est central dans When We See Us, l’une des trois seules expositions d’envergure ayant abordé ce thème au cours des dix dernières années : celui de l'histoire de l'art, non pas euro-américain, mais noir. En tant qu'artiste londonienne noire, elle estime que c'est très important. Ce cadre historique était absent de son éducation. Des perspectives s’ouvrent désormais pour les générations futures. « Venez et diversifiez votre vision de l'histoire de l'art. Il y a toujours des gens et des histoires qui sont laissés de côté », conseille-t-elle. Koyo Kouoh rappelle que l’art contemporain noir n’a attiré l’attention qu’à partir des années 1990, après un long lobbying : Nous existons aussi ! Ces dix dernières années, les contributions noires à la société ont gagné en reconnaissance. Depuis 2020, l’art figuratif noir est en vogue, et la conversation peut enfin s’intensifier.
Pour la co-curatrice Tandazani Dhlakama, When We See Us illustre « un riche continuum historique, des conversations entamées il y a des décennies, une histoire stratifiée et un canon solide de l’art noir ». À la sortie de l’exposition, une frise chronologique retrace des moments clés de l’art, de la culture et de la politique, jusqu’en 2020. Une bibliothèque prolonge cette perspective historico-artistique. Un futur remake inclurait certainement 2026. Koyo Kouoh a en effet été nommée « directrice du département des arts visuels » de la Biennale de Venise et en supervisera la 61e édition. Elle est la première femme africaine à recevoir cet honneur.