Publié le - Christel Tsilibaris

Joëlle Dubois ♡ 'According to Lulu He Has the Smallest Dick Ever'

Oui, il y a de l'amour dans les tableaux de Joëlle Dubois. Mais ne vous fiez pas à l'érotisme qui s'en dégage. Dans l'univers de la peintre belge se trouve aussi une (bonne) dose de solitude.

« Joëlle Dubois, elle peint des gens en train de faire l'amour, non ? » D’une oreille, j’entends la question d'un couple assis en face de moi alors que je pianote sur mon téléphone. La réponse m’échappe car un groupe d'adolescents, avec l’assurance et un style que j'aurais aimé avoir à leur âge, monte bruyamment dans le bus. Toute l’attention se porte sur eux, et je rate l'occasion d'interrompre la conversation pour lancer « Oui, mais non : elle peint les archétypes de notre époque, et le résultat est plutôt sombre ! ». Au lieu de cela, je reste tranquillement assise sur mon siège.
  
L'artiste belge Joëlle Dubois est célèbre pour ses peintures éclatantes et colorées représentant des rapports sexuels explicites, des femmes intimidantes et des individus fragiles et solitaires absorbés par leur ordinateur, leur tablette ou leur téléphone portable. Derrière l'ambiance Miami Beach des années 80 et l'érotisme formel, Dubois dépeint des symptômes de la vie contemporaine, notamment notre dépendance aux médias sociaux et à la technologie, et la manière dont ces deux éléments ont façonné nos relations intimes, nos pratiques amoureuses, nos critères de beauté et notre confiance en soi. 

Partial view of the full artwork: Joëlle Dubois, According to Lulu he has the smallest dick ever, 2018 Acrylic on wooden panel 50 x 30 cm ©The Strack Collection and Thomas Rehbein Galerie

Joëlle Dubois est une conteuse qui transforme ses expériences personnelles en peintures, sans honte et sans crainte. Vous remarquerez rapidement qu’il est facile de s’identifier à ses histoires (et ses tableaux). Dans According to Lulu He Has the Smallest Dick Ever, un couple se repose sur un lit dans un moment qui semble avoir été précédé par des ébats. La lingerie rouge sexy et révélatrice, les bougies à moitié consumées, les canettes de bière vides et l'herbe sur la table suggèrent que nous assistons aux reliques d'une nuit d'amour torride. 

Mais à y regarder de plus près, la scène érotique de Dubois dégage peu d'intimité. La femme est absorbée par le contenu de son téléphone, tandis que l'homme l'observe d'un air inquiet. Comme le suggère le titre, serait-elle en train de discuter de la taille de son pénis avec ses copines ? Ou consulte-t-elle une application pour trouver son prochain partenaire ? Une froideur s'installe, la proximité physique des personnages contrastant fortement avec leur indisponibilité émotionnelle. 

Joëlle Dubois explore le personnel pour parler de l'universel. À travers ses peintures, nous devenons les témoins des nouvelles formes relationnelles d'une génération ultra-connectée, assurée de son corps et de sa personne. L'amour et la sexualité semblent devenir une autre transaction où le partenaire sexuel devient un objet jetable, à remplacer par un glissement vers la gauche ou la droite sur un écran si les critères souhaités ne sont pas entièrement satisfaits. Témoin des difficultés rencontrées par mes amis célibataires dans la quarantaine, il me semble que naviguer dans les rencontres et les relations est devenu de plus en plus incompréhensible depuis l'avènement des médias sociaux, des sites et des applications de rencontre. La perplexité du visage de l'homme dans le tableau de Dubois et l'apathie de la femme à ses côtés sont des représentations d'un type de relation que les sociologues contemporains appellent des « situationships ». Il ne s’agit ni d’une rencontre romantique clairement définie comme telle, ni d’une relation suivie dans le temps : une « situationship » est une interaction émotionnellement détachée entre adultes consentants ayant des relations sexuelles occasionnelles. La non-relation peut prendre fin à n'importe quel moment, sans requérir aucune explication. 

Le sexe sans attaches procure une certaine libération, surtout pour les femmes d'aujourd'hui. Mais il n’évite pas une certaine mélancolie. L'expérience érotique et sexuelle contemporaine, telle qu'elle est façonnée (et documentée) par les médias sociaux, peut être amusante, rapide, satisfaisante pour l'ego et dénuée de responsabilités. Mais bien souvent, sous sa surface brillante, la solitude persiste. Et c'est cette solitude que le travail de Dubois met en évidence à l'ère de l'amour-consommation instantané.