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Qu’aimeriez-vous dire à vos cellules ?

Pour la 2e année consécutive, Bozar participe à l’Ars Electronica Festival, qui se déroule du 8 au 12 septembre. Suite à la pandémie, les institutions culturelles ont renouvelé les formats artistiques proposés au public, tant en présentiel qu’en ligne. Cette année encore, le festival propose des voyages numériques sur les thématiques de la vie digitale, l’espace public vs privé, l’activisme ou encore le monde du travail 2.0. Bozar y présente les projets de résidences Art&Science organisées par Studiotopia, à travers les Studiotopia Journeys. Plongez dans l’univers des artistes qui ont collaboré ces derniers mois avec des scientifiques et chercheurs sous la forme de résidences mêlant art et science.

© Elodie Fradet/Bozar

Comment lire de la poésie aux cellules cancéreuses ? C’est la question centrale à laquelle l’artiste française Sandra Lorenzi et le chercheur belge en biologie moléculaire Jean-Christophe Marine (VIB) tentent de répondre à travers leur résidence Art&Science, une initiative innovante associant chercheurs et artistes durant 17 mois. Le binôme franco-belge aborde la phase de production de leur projet commun, une œuvre filmique dont la version finale sera présentée à Bozar dans le cadre de l’exposition Studiotopia, Art meets Science in the Anthropocene, qui se déroulera à Bozar, du 5 mai au 19 juin 2022. Grâce à cette résidence, Sandra Lorenzi, qui explique dans la vidéo ci-dessus sa démarche et l’état d’avancement de leurs réflexions, prolonge sur le terrain artistique le travail de recherche contre le cancer de la peau entrepris par Jean-Christophe Marine. « Mon travail artistique, explique t-elle, se déploie à travers différents médiums : le dessin, la poésie, l'écriture poétique, les installations, la sculpture, les peintures murales. À travers mon travail, j'essaie de me reconnecter à mes imaginaires, de me connecter au vivant et de faire en sorte de connecter ce qui n'est pas encore connecté, c'est-à-dire de relier des choses, des êtres qui a priori ne se rencontrent pas, des histoires qui a priori ne se rencontrent pas et de faire en sorte qu'elles résonnent l'une avec l'autre ».

© Elodie Fradet/Bozar

La puissance de l’imaginaire

Dans un précédent travail, Sandra avait écrit une ode phillosophique qui avait un grillon pour personnage central. Elle y parle « des vies antérieures d'un grillon qui a rencontré différents personnages au cours de sa vie. Il a pu rencontrer un mineur, il a pu rencontrer un soldat de la Première Guerre mondiale, il a pu rencontrer une petite fille chinoise. Et à travers ces vies finalement, le grillon se questionne sur sa condition d'être, sur sa relation qu'il entretient avec les humains ». Un réseau de relations improbables dans la vie mais que l’imaginaire rend possible pour mieux la questionner.

Pour sa résidence actuelle, en centrant sa réflexion sur la prise en charge de l’autre par le soin, Sandra Lorenzi investit un nouveau réseau de relations : celui du patient souffrant ou ayant souffert d’un cancer mis en relation avec des cellules cancéreuses, grâce à la formidable puissance créatrice de l’imaginaire : « Cette relation à l'imaginaire, elle est très forte pour moi. Je pense qu'on a trop sous-estimé l'imagination comme capacité, comme faculté. On parle toujours de l'intelligence, de l’intellect, mais on oublie parfois de considérer l'imagination comme une capacité en soi qui permet de créer d'autres relations au monde et qui permet aussi d'aller vers d'autres futurs ». Comme si l’imaginaire, en configurant autrement le choix des possibles, pourrait alors accompagner le patient dans la confrontation qu’il a eue avec le cancer. Sortir du réel pour mieux y faire face, en somme.

 

© Elodie Fradet/Bozar

L’expression de la maladie face à celle de la poésie

Sandra utilise à cette fin des organoïdes, qui maintiennent en vie des petites portions de tumeurs prélevées sur les patients afin de tester différentes combinaisons médicamenteuses et de déterminer le meilleur traitement possible pour chaque pathologie. Dans le dispositif de Sandra et Jean-Christophe, ces organoïdes offrent ainsi au patient la possibilité d’être en contact visuel avec ces cellules et d’objectiver, au sens propre, la maladie qui les affecte ou les a affectés.

Pour matérialiser ce face-à-face courageux - car la maladie est un thème rarement abordé aussi frontalement dans l’art contemporain -, ils ont choisi de lire Les Métamorphoses d’Ovide, qui y « développe une sorte d'organisme poétique. Certaines passions comme la jalousie, l'envie, la colère, mènent à la pétrification des âmes et à la pétrification des corps. Et le mot cancer apparaît. Et ça nous a vraiment intéressés, ce parallèle entre une poésie antique, cette idée de la pétrification, et (…) <l>es pratiques ultra contemporaines de pointe telles que la recherche fondamentale contre le cancer ». Soucieuse de laisser une place importante aux (ex-)patients, Sandra les a également invités à prendre part à un workshop d’expression destiné à répondre à la question centrale de son travail « Qu’aimeriez-vous dire à vos cellules ? ». Une manière d’opposer ainsi à l’expression de la maladie une autre forme d’expression qui vient mettre des mots sur une relation trop souvent indicible.

© Elodie Fradet/Bozar

Le film retraçant cette confrontation sera présenté au terme de la résidence Art&Science de Sandra et Jean-Christophe, à l’ocasion de l’exposition Studiotopia, Art meets Science in the Anthropocene, qui se déroulera à Bozar, du 5 mai au 19 juin 2022.

 

Pour en savoir plus…

Studiotopia

Soutenu par le Programme Creative Europe, STUDIOTOPIA est une initiative qui vise à accroître les collaborations entre les institutions culturelles, les organismes de recherche, les universités, les centres d'innovation, les artistes et les citoyens. L'initiative regroupe huit institutions culturelles européennes : le Palais des Beaux-Arts (Bozar) et GLUON, Ars Electronica à Linz, le Cluj Cultural Centre, le Laznia Center for Contemporary Art à Gdansk, l’Onassis Stegi à Athènes, la Vrije Universiteit Amsterdam et Laboral à Gijon. Pendant toute la durée de cette initiative (2019-2022), STUDIOTOPIA propose un vaste programme d'activités à travers les institutions partenaires : résidences, expositions, pop-up labs, ateliers et conférences. Durant une résidence de 17 mois, 13 équipes à travers l’Europe, réunissant 25 scientifiques et 13 artistes ou collectifs d’artistes, travaillent ensemble sur des projets rapprochant art et science. Les résultats de ces collaborations seront exposés et présentés au public dans les différentes institutions partenaires au terme des résidences.

Plus d’infos : https://bitly.com/studiotopia

Le VIB Grand Challenges Program

La VIB (Vlaams Instituut voor Biotechnologie) est le partenaire scientifique de cette résidence art et science. Celle-ci s’inscrit dans le VIB Grand Challenges Program, qui vise à augmenter l'impact sociétal de la VIB en soutenant des programmes de recherche transversaux et disruptifs dans des domaines aussi variés que les traitements innovants, le contrôle épidémique, l’agriculture durable ou les traitements ciblés. Les chercheurs ont pour ambition de mettre leurs découvertes au service des patents et de la société dans son ensemble. Comme le souligne la professeure Sofie Bekaert, coordinatrice du Grand Challenges Programme : « Le programme des artistes en résidence est une plongée dans l'inconnu, la forme ultime d'interdisciplinarité à travers les langues, les matériaux, l'esthétique et l'éthique de deux disciplines très différentes mais comptant parmi les plus créatives. Nous pensons que cette interaction donnera naissance à un niveau supérieur de créativité et induira visibilité et dialogue avec toutes les parties prenantes et le grand public en général ».

Plus d’infos : https://vib.be/grand-challenges-program

 

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