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Willy Van Der Meeren et le paradis pandémique

Où fait-il bon vivre aujourd’hui ? À plusieurs et seul à la fois ? En ville mais proche de la nature ? Avec pour titre improvisé « social distancing housing », je suis parti à la recherche d’habitations qui ont été conçues avec suffisamment de distance physique – mais non sociale. Des logements qui nous permettent de bavarder avec les voisins, mais aussi d’échapper à nos proches. Et ce, sans avoir besoin de plusieurs hectares.

Le clos résidentiel Vierwindenbinnenhof, que les architectes Léon Palm et Willy Van Der Meeren ont implanté au milieu des champs à Tervuren, en 1955, en est une belle illustration. Situé à un jet de pierre de Bruxelles, il fait aussi partie du périmètre artistique de BOZAR. L’été passé, nous avons invité le collectif berlinois Something Fantastic à s’en inspirer, dans le cadre d’Artists in Architecture. Re-Activating Modern European Houses. En tant qu’architects in residence, ils ont réalisé une feuille de route pour un avenir possible, un manuel pour préserver le caractère étonnant de cet élément protégé de notre paysage architectural. Et ce, à l’aide d’exemples représentatifs.

Grâce aux recherches et publications du professeur Mil De Kooning (Universiteit Gent), l’ingéniosité et la poésie des ouvrages de Van Der Meeren sont aujourd’hui encore souvent considérées comme innovantes. À l’origine du projet de Tervuren, on trouve ce qui est à la fois la plus grande réussite et le plus grand échec de Van Der Meeren : la maison CECA. Avec Léon Palm, il s’était lancé le défi de construire une maison préfabriquée « pour le prix d’une Ford ». Et ce, alors que la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) venait de voir le jour.

Rejetée par les grandes institutions qui n’arrivaient pas à digérer cette « brique dans le ventre » alternative, la maison CECA s’est avérée être trop en avance sur son temps. Elle est restée au stade d’étude de cas, tant sur le plan architectural que social. L’architecte Peter Swinnen, qui a eu abondamment recours aux « projets pilotes » lorsqu’il était Vlaams Bouwmeester (2010-2015), a donc pris possession des lieux et s’est installé dans le clos avec sa famille. Et, noblesse oblige, il a jeté son dévolu sur le bâtiment que Willy Van Der Meeren avait choisi comme atelier et maison de famille.

Peter, je vous appelle parce que je ne m’en sors pas avec les questions suivantes. Quel sera l’impact de cette pandémie sur la densification ? Où ferait-il bon vivre en cette période ?

Ici, ce n’est pas mal.

Quel était l’objectif initial ?

Pour ne pas dépasser le prix souhaité, Palm et Van Der Meeren envisageaient la production de masse. Mais l’expérience a échoué, en dépit du fait qu’ils avaient réussi à décrocher pas moins de 4 500 précommandes de la CECA en un an seulement. Les huit logements de Tervuren ont vu le jour à l’initiative d’un candidat qui s’est avéré disposer d’un peu plus de moyens financiers. Il possédait ce terrain, assez vaste. En tant que maître d’ouvrage, il a – et je trouve ce détail intéressant – fait évoluer la maison vers un modèle extra-large, avec une troisième travée, parce qu’il avait une famille nombreuse. Les architectes se sont pliés à cette exigence et ont mis sur pied un projet de cohabitation avec différentes maisons CECA et leurs variantes. À partir de cette liste – et, je pense, sans connaître tous les détails – ils ont choisi les habitants sur la base de leur profil et de connaissances communes : non pas des socialistes convaincus, mais plutôt des personnes hautement qualifiées avec une certaine ouverture envers les autres. C’était nécessaire au début pour mettre le projet sur les rails et le concrétiser en si peu de temps. Deux ans seulement après l’exposition de la première maison CECA à Liège, le Vierwindenbinnenhof était une réalité.

Comment les architectes ont-ils formé la communauté ? Et comment avez-vous retrouvé ses « membres » ?

L’acte de base était un instrument important et indiquait clairement ce qui était permis ou non. Au départ, l’approbation de Palm et Van Der Meeren était nécessaire pour toute adaptation. Il était systématiquement fait référence à la vision générale pour le terrain. Mais on constate aussi qu’il y a très vite eu des désaccords – malheureusement, l’archive de la communauté résidentielle n’est pas complète. Comment aborder ces parties communes ? Comment maintenir l’équilibre entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel ?

Des désaccords entre les premiers habitants qui s’étaient choisis mutuellement ? Ou après le changement de propriétaires ?

Il s’agissait plutôt d’une différence de sensibilité quant au contenu et à l’interprétation des règles de la communauté. Je suppose que les architectes les considéraient de manière plus stricte que les autres habitants. On le constate par exemple dans les discussions sur les garages. À l’origine, il s’agissait de carports en béton. Ceux-ci se sont rapidement transformés en espace de rangement parce que les logements étaient assez petits, sans cave ni grenier. Quand on veut stocker quelque chose, on se dirige tout naturellement – encore aujourd’hui – vers cet espace. On le remarque très vite dans les rapports : « Pouvez-vous s’il vous plaît veiller à ce que les garages ouverts ne soient pas plein de bazar ? ». Le ton dans ces rapports est assez direct. Ce qui pourrait aussi prouver qu’il y avait une grande confiance entre les différents habitants.

Et aujourd’hui ?

Depuis deux ans, nous sommes responsables de la gestion des espaces au sein du Vierwindenbinnenhof et veillons continuellement à son actualisation tout en respectant les consignes de base. Aujourd’hui, son utilisation quotidienne est encore sujette à différentes interprétations. Je pense que nous sommes considérés comme les habitants qui se rapprochent le plus de l’idée d’origine. Je trouve le concept suffisamment large. Honnêtement, je ne le vois pas comme une restriction. Par ailleurs, quand un point fait l’objet de discussions, nous l’appréhendons de manière pratique. Ainsi, nous venons de faire installer des toits verts sur les garages pour que notre voisine puisse y installer ses ruches. Il ne s’agit pas d’atteintes à l’idée de base, mais de changements nécessaires pour rendre le paysage plus productif. Bientôt, nous reprendrons la restauration du garage et réarrangerons progressivement les jardins plus librement.

Comment vous sentez-vous au Vierwindenbinnenhof durant cette crise du coronavirus ? Quel est l’impact sur la vie communautaire ?

En soi, ce n’est pas différent de la vie habituelle. Les habitants des petits logements auront peut-être plus l’impression d’être confinés. Quand nous nous croisons sur le sentier, nous sommes maintenant obligés de nous écarter un peu. Mais c’est juste de la prudence. Le respect des autres n’a clairement pas diminué, bien au contraire. Nous n’habitons vraiment pas dans une rue classique. Ainsi, un voisin a pris l’initiative de souffler dans une trompette et d’appeler tout le monde à 20 h. Le premier jour, on s’est tous demandé ce qui lui prenait. Mais maintenant, notre fille de quatre ans prépare tous ses instruments et nous prévient quand il est bientôt 20 h.

Et est-ce que vous discutez aussi entre voisins ?

C’est un moment informel dont on profite pour vérifier que tout le monde va bien. Certains préfèrent ne pas sortir de leur maison. Alors nous allons jusque chez eux – surtout pour les personnes plus âgées – et leur demandons si nous pouvons faire quelque chose pour eux. Bien sûr, je préfère la vie que nous avions avant. En temps normal, on se fait la bise ou une bonne accolade. Cette convivialité est toujours là, mais elle s’exprime différemment.

Mais ce concept était-il en avance sur son temps ?

Ce n’est pas comme si Palm et Van Der Meeren avaient eu une boule de cristal, mais je trouve formidable que leur concept puisse résister aussi bien à une pandémie. Tout fonctionne comme il faut. De manière généreuse et attentionnée. C’est un clos, mais sans clôtures. Les degrés d’intimité sont bien pensés. Et la maturité du paysage – qui a désormais 65 ans –, avec ses arbres et ses fleurs, joue aussi un rôle important.

Quels enseignements peut-on tirer d’un tel endroit pour les projets d’habitat groupé ?

Laisser les gens s’approprier leur lieu de vie. Même si cela implique un certain niveau de liberté, il faut prendre soin du caractère privé. Trop souvent, les logements sociaux donnent lieu à des quartiers bien soignés, où les règles sont imposées d’en haut, sans que personne ne se sente ou ne puisse se sentir personnellement concerné. La densification ne doit pas non plus devenir un dogme, cela doit rester un choix. Il vaut mieux qu’elle soit modérée et qu’elle ne soit pas axée sur le marché. C’est l’erreur majeure qui est commise aujourd’hui. On ne peut pas m’accuser de romantisme parce que je veux vivre à la campagne. Je dis toujours que nous habitons en milieu urbain, même si nous sommes proches des champs. « Urbain » signifie « mixte ». C’est un paysage qui répond aux exigences écologiques et sociales, et où l’on retrouve aussi les caractéristiques de la ville. Le seul point noir, ce sont les transports en commun, qui ont diminué de moitié ces trois dernières années. Si vous ratez le bus, vous êtes foutu. Je trouve cela incompréhensible et irresponsable qu’un gouvernement néglige les infrastructures publiques de régions aussi essentielles. C’est une plaque tournante de la Belgique et de l’Europe, donc elle devrait être bien connectée. Point.