Remember to turn down the brightness and mute your phone.

Return to the event
Bozar
Belgian National Orchestra

Belgian National Orchestra & Hermus

6 Oct.'23
- 20:00

Henry Le Boeuf Hall

Symphonic Hour

Dmitri Chostakovitch (1906-1975) 

Symphonie n° 8 en do mineur, op. 65 (1943) 

  • Adagio – Allegro non troppo

  • Allegretto 

  • Allegro non troppo 

  • Largo 

  • Allegretto 

 

Durée: 1h05

La Huitième symphonie de Dmitri Chostakovitch est la deuxième des trois symphonies « de guerre » composées par ce compositeur soviétique entre 1941 et 1945. Cette œuvre colossale, écrite pendant les heures les plus sombres de la guerre avec l’Allemagne nazie, à l’époque de la tristement célèbre bataille de Stalingrad, est sans doute la plus tragique de Chostakovitch. En cinq mouvements, le compositeur tente d’apprivoiser une violence inouïe et une interminable souffrance, tant sur le plan émotionnel que philosophique. 

Le premier mouvement, de près de 30 minutes, s’ouvre sur un motif sombre « de la destinée », joué à l’unisson par les cordes graves. Le deuxième thème, beaucoup plus doux, est de nature lyrique et exprime la souffrance, la douleur et l’angoisse. Toutefois, la musique devient progressivement plus rythmée, plus audacieuse et plus forte aussi, jusqu'à atteindre un premier point culminant au bout d'un peu plus de 15 minutes. Il est suivi d'un long solo de cor anglais, à partir duquel se développe une complainte sourde. 

Le deuxième mouvement commence comme une marche sinistre ponctuée de piccolos narquois. Le thème principal est dérivé du thème d'ouverture du premier mouvement. De nombreux éléments de scherzo défilent. 

Les troisième, quatrième et cinquième mouvements de la symphonie s'enchaînent sans interruption. Dans l'allegro non troppo monomaniaque du troisième mouvement, une marche impitoyable, le chef d'orchestre allemand Kurt Sanderling entendit le "Niedergetrampelltwerden des Individuums" (le piétinement de l'individu). Avec une passacaille dans le quatrième mouvement, Chostakovitch fait le deuil de ce qui vient de se produire. La symphonie s’achève sur un cinquième mouvement atypique. Contrairement à la Deuxième symphonie de Mahler, également en do mineur, Chostakovitch exclut toute perspective de résurrection. Le final pianissimo n’a ici rien de triomphal, le compositeur évoquant plutôt une survie dans la défaite, tel un orphelin rentrer chez lui. 

Vous voulez en savoir plus sur les circonstances historiques dans lesquelles Chostakovitch a composé sa Huitième symphonie ? Le jeune musicologue Elias Van Dyck a écrit un article passionnant sur la position du compositeur russe au sein de l'Union soviétique sous Staline : entre récupération politique et condamnation sévère du régime du parti.

 

Lorsque les troupes de l’armée russe sont entrées en Ukraine au printemps 2022, l’art russe s’est retrouvé lui aussi pris dans la tourmente. Une position claire a toutefois rapidement émergé : une mise au ban totale équivaudrait à livrer le patrimoine culturel russe aux mains de la machine de propagande de Poutine, qui ne manquerait pas de se l’approprier et de l’utiliser à mauvais escient pour servir ses intérêts. Les concerts controversés de Valery Gergiev, chef d’orchestre attitré du pouvoir, en Ossétie du Sud et à Palmyre, avaient mis une nouvelle fois en avant le potentiel politique de la musique classique. 

L’actualité politique influence incontestablement notre perception de la musique russe. Pourtant, des œuvres telles que Casse-Noisette de Tchaïkovski ou le Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev – toutes deux au calendrier du Belgian National Orchestra pendant la saison 2023/2024 – échappent en grande partie à la tourmente. En effet, elles ne conduisent pas à des associations explicites avec le nationalisme, la dictature ou la propagande. En revanche, le lien entre la musique et la politique que l’on trouve chez Dmitri Chostakovitch est plus actuel que jamais. La façon dont sa musique est perçue oscille en permanence entre deux extrêmes, où l’on voit tantôt un message de propagande parfois éminemment explicite, tantôt la possibilité réjouissante de démasquer, derrière les programmes « officiels », un dissident dont chaque note est en fait un cri, une charge cachée contre la dictature soviétique. Testimony (1979), les mémoires posthumes de Chostakovitch « dictés à et rédigés par » Solomon Volkov, a joué un rôle crucial dans cette perception. L’ouvrage a d’emblée suscité un débat enflammé. Le Chostakovitch de Volkov, à la fois héros incompris de la résistance et victime amère, a été tour à tour dénoncé et validé comme fondamentalement conforme à la réalité par les musicologues, les proches et les héritiers du compositeur. 


La mauvaise œuvre au mauvais moment

Le fait que, tout au long de sa vie, Chostakovitch ait souvent été tantôt coopté, tantôt sévèrement condamné par l’appareil du parti nous en apprend encore plus sur la dualité de la réception de son œuvre. Cette tension trouve son locus classicus dans les trois « symphonies de guerre » du Russe. Contrairement à la Symphonie n° 7, saluée avec enthousiasme comme l’expression du combat héroïque et de la certitude de remporter la « Grande Guerre patriotique » contre le nazisme, la Huitième, plus sombre et plus introvertie, allait déplaire au régime. Avec cette symphonie, Chostakovitch a voulu, comme il l’a dit lui-même, recréer « le monde intérieur de l’être humain, l’angoisse, la souffrance, le courage et la joie, des sentiments assourdis par le gigantesque marteau de la guerre ». Des « états psychiques qui ont acquis une netteté particulière, éclairés par le brasier de la guerre ». Lors de la création de cette symphonie en novembre 1943, les chances de succès avaient définitivement changé de camp. La victoire russe n’était plus qu’une question de temps. Plutôt qu’une tragédie pessimiste, les autorités s’attendaient à présent à une anticipation optimiste d’un triomphe imminent. 

La Huitième de Chostakovitch échoua magistralement à remplir ces critères tacites. Les bonzes soviétiques découvrirent une musique à mille lieues de la marche d’invasion galvanisante de la Symphonie n° 7, sans apothéose triomphale. Après un voyage émotionnellement exténuant jalonné de colères incendiaires, de vulgarité sardonique et de désespoir sans issue, la Symphonie n° 8 s’achève sur une sorte de no man’s land émotionnel : ni triomphe vide de sens ni tragédie profonde, juste de la résignation. 

Alors que l’accueil réservé à la Huitième avait été glacial, l’étau allait encore se resserrer les années suivantes autour du compositeur. En 1944, la symphonie fut étiquetée « œuvre non recommandée ». Quatre ans plus tard, Andrej Zjdanov, bras droit de Staline, passa à l’attaque frontale : la Symphonie n° 8 était un exemple scandaleux d’un « formalisme » élitiste qui devait être définitivement extirpé de la musique russe. Chostakovitch se retrouva ainsi une deuxième fois officiellement condamné. Il se vit contraint d’admettre, dans une déclaration humiliante, qu’il « parlait une langue étrangère au peuple russe ». 

La réaction agressive des idéologues du parti à la Symphonie n° 8 de Chostakovitch fournit de solides arguments à ceux qui souhaitent voir dans le compositeur un dissident, comme l’avait fait Volkov, d’autant que la musique elle-même se prête aussi à une telle interprétation. Aucun saut quantique dans la lecture de cette symphonie n’est nécessaire pour entendre, dans son intensité parfois brûlante, la répression exercée par un régime totalitaire. À cet égard, il est toutefois au moins aussi pertinent de se demander pourquoi nous semblons tellement tenir à cette image rassurante pour le monde occidental d’un Chostakovitch victime et combattant d’une répression étouffante.


L'art contre la camisole de force

Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une œuvre acquière au fil de l’histoire de sa réception divers niveaux de sens, parfois très contrastés. Essayer de sonder l’âme de Chostakovitch apparaît toutefois comme un enjeu qui va au-delà du travail d’enquête purement académique. Dans un état totalitaire comme l’Union soviétique, où il était interdit de s’exprimer et où un geste innocent suffisait à vous stigmatiser, l’art revêt une position particulière. Fondamentalement ambigu et insaisissable, l’art ne se laisse jamais enfermer complètement dans un carcan idéologique. « Oubliez la controverse : nous savions ce que cela voulait dire », a dit un contemporain de Chostakovitch à propos de sa Symphonie n° 11, prétendument propagandiste : dans un pays où la parole est muselée, ce sont les arts qui s’expriment. Ils sont en mesure de créer, en signe de protestation, un sentiment tacite de solidarité face auquel les autorités sont impuissantes. Leur seule arme – la censure – rend en effet compte de leur propre vulnérabilité. À l’heure où la Russie semble à nouveau se transformer en un régime de terreur, l’art redevient une arme politique. Il est à nouveau l’étendard de ce qui ne peut être dit et s’exprimer à voix haute.

En Europe de l’Ouest, la vie dans une dictature apparaît de plus en plus comme un lointain souvenir, et non plus comme une expérience vécue. La Symphonie n° 8 de Chostakovitch ouvre une fenêtre sur une situation qui est toujours aujourd’hui atrocement réelle pour des millions de personnes. Loin des allégories guerrières, l’œuvre du Russe se fait encore plus l’écho d’un homme pris au piège d’une époque traumatisante – à la fois hautement personnelle et universelle.

 

Par Elias Van Dyck

Antony Hermus

Direction musicale

Antony Hermus est chef d'orchestre principal du Belgian National Orchestra et premier chef d'orchestre invité du Noord Nederlands Orkest et de l’Opera North basé à Leeds, en Angleterre. Après avoir étudié le piano avec Jacques de Tiège et la direction d'orchestre avec Jac van Steen et George Fritzsch, il a commencé sa carrière au Theater Hagen, où il est rapidement passé de directeur de répétition à directeur musical. De 2009 à 2015, Antony Hermus a été directeur musical à Dessau, où il a notamment dirigé son premier cycle du Ring. Pour son travail à Dessau, il a été nommé durant trois années consécutives "chef d'orchestre de l'année" par le magazine allemand Opernwelt. Aujourd'hui, Antony Hermus dirige tous les grands orchestres néerlandais. Il est également très demandé en tant que chef d'orchestre invité en dehors des Pays-Bas. D'une part pour des productions d'opéra (Stuttgart, Strasbourg, Göteborg, Komische Oper Berlin, Opéra de Paris studio, Essen et le Nederlandse Reisopera), d'autre part pour des engagements en concert (Royal Philharmonic, BBC Scottish et Danish National Orchestra, l'Orchestre National de Lyon, Bamberg Symphony, Melbourne Symphony, Oregon Symphony). Antony Hermus est également professeur invité au Conservatorium van Amsterdam et conseiller artistique du Nederlandse Nationaal Jeugdorkest. 

Belgian National Orchestra

Fondé en 1936, le Belgian National Orchestra est en résidence permanente à Bozar. Depuis septembre 2022, l’orchestre est placé sous la direction du chef principal Antony Hermus ; Roberto González-Monjas en est le chef invité et Michael Schønwandt le chef associé. Le Belgian National Orchestra se produit aux côtés de solistes renommés tels que Hilary Hahn, Christian Tetzlaff, Thomas Hampson, Angela Gheorghiu, Leif Ove Andsnes, Víkingur Ólafsson, Sergey Khachatryan et Truls Mørk. Il s’intéresse à la nouvelle génération d’auditeurs et ne recule pas devant des projets novateurs tels que sa collaboration avec l’artiste pop-rock Ozark Henry ou récemment avec Stromae sur son album Multitude. Sa discographie, parue essentiellement sur le label Fuga Libera, jouit d’une reconnaissance internationale et comprend, entre autres, six enregistrements réalisés sous la direction de l’un de ses anciens chefs Walter Weller. 

SAM 21 oct.'23 | 20:00 

Beethoven 3 & Yibai Chen joue Chostakovitch 

Mémoire d’un grand homme 

 

DIM 05 nov.'23 | 15:00 

Orchestrascope by Zonzo Compagnie 

(Big Bang Festival) 

 

DIM 12 nov.'23 | 15:00 

Handel Messiah – Sandrine Piau & Chœur de Chambre de Namur 

Des airs transcendants 

 

VEN 24 nov.'23 | 20:00 

Nielsen 3 & Tetzlaff joue Sibelius 

Avant le péché original

 

Tous les concerts Belgian National Orchestra @ Bozar