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Angélique Kidjo & Yo-Yo Ma

6 Dec.'23
- 20:00

Henry Le Boeuf Hall

Sarabande Africaine

Sarabande de G. F. Händel, Suite en ré mineur (texte : Angélique Kidjo)*
Blewu 
Bella Bellow *

Kelele Angélique Kidjo & Jean Hebrail *
Agolo 
Angélique Kidjo & Jean Hebrail *

Yemandja de Philip Glass, Ifé : Three Yorùbá Songs, arr. Michael Riesman

Summertime George Gershwin, arr. Angélique Kidjo & Jean Hebrail *
Lamentations de Coleridge-Taylor Perkinson, “Black/Folk Song Suite”
Nobody Knows the Trouble I’ve Seen spiritual afro-americain, arr. Harry T. Burleigh
Goin’ Home de Antonín Dvořák, Symphonie n° 9 "Du Nouveau Monde"
Sarabande de J.S. Bach, Suites pour violoncelle

Ti Citron Malavoi

Zelie Bella Bellow *
L’Horloge
 Charles Baudelaire
Lonlon de Maurice Ravel, Bolero *

La Foule Ángel Cabral, arr. Angélique Kidjo & Jean Hebrail *

Aisha de J.S. Bach, Concerto à clavier n° 5 (texte : Angélique Kidjo)*

Afirika Angélique Kidjo & Jean Hebrail *
Pata Pata Dorothy Masuka *

Arrangement pour violoncelle par Mike Block

Yo-Yo Ma, violoncelle
Angélique Kidjo, voix
David Donatien, percussion
Thierry Vaton, piano

Concert sans pause · Durée: 1h30

Pour définir sa collaboration avec Angélique Kidjo, Yo-Yo Ma décline un concept écologique, celui du « edge effect », l’effet « lisière », ou comment la rencontre de deux écosystèmes en produit un troisième, générateur de nouvelles formes de vie. Ce processus, dit le violoncelliste, a donné naissance au jazz, ou dans un passé plus lointain, à la sarabande.

« Nous sommes des chercheurs culturels », explique Yo-Yo Ma. Des curieux patentés qui, plutôt que de cultiver leurs différences, ont décidé d’explorer les zones de convergence. « Angélique Kidjo est née au Bénin, elle est passée par la France, les États-Unis. Moi, je suis né à Paris de parents Chinois partis à New-York. Nous sommes des migrants, voilà l’identité profonde que nous partageons ».

Voici donc réunis nos deux impétrants d’excellence —  pour chacun, plusieurs Grammy Awards et le Polar Music Prize. Elle, chanteuse populaire, lui musicien classique, ont en commun de se soucier de la genèse de leurs musiques. Ce faisant, ils ont tissé une toile d’humanité, de folle humeur, de hasards et de vagabondages. Au fil de leur quête, ils ont prouvé que l’africanité avait traversé les siècles. Ils ont, dit Angélique, découvert que « la musique africaine et la musique classique avaient une histoire commune riche et inédite que nous avons décidé de raconter ». Afin que cesse l’occultation systémique de l’apport africain, ils ont conçu Sarabande Africaine.

Avant de se projeter vers l’Orient, en fondant en 2000 le Silkroad Ensemble, Yo-Yo, le brillant élève de la Juilliard School, avait fait une incursion chez les bushmen Kung du désert du Kalahari, à la frontière de la Namibie et de le Botswana, parce qu’il en il admirait la musique. Pendant ce temps, Angélique Kidjo, projetée dans la lumière de la pop africaine et de la sono mondiale depuis la sortie en 1991 de Logozo chez Island Records n’avait rien lâché, construisant une trilogie discographique basée sur les routes de l’esclavage (Oremi, Black Ivory Soul, Oyaya !).

Pour Yo-Yo Ma, le clan des passeurs, qu’elle et il, ont rejoint, est de la plus haute importance. Il y inscrit tout autant Antonín Dvořák que Nadia Boulanger, la professeure française de Leonard Bernstein, Pierre Henry, Quincy Jones, Astor Piazzolla, Philip Glass, et tant de génies contemporains, dont elle a libéré la pensée par son exigence de décloisonnement des musiques. Dans la même logique, Angélique Kidjo n’a pas craint de faire des incursions dans le domaine a priori clos des musiques dites « savantes », notamment en collaborant avec Philip Glass, avec qui elle a créé Ifé, Three Yoruba Songs en 2014. De Glass, elle a aussi interprété la Symphonie n°12, dite Lodger, sur des paroles de David Bowie, en y apportant la force d’une voix ancrée dans la tradition orale du Golfe de Guinée.

Dans le même désir de rupture, Yo-Yo Ma a intensément interprété les œuvres d’Antonín Dvořák.  « Dvořák, qui a dirigé le Conservatoire National de musique de New York, avait pour assistant Harry T Burleigh, chanteur et grand connaisseur des negro spirituals », très présents dans la Symphonie du Nouveau Monde. Dvorak était convaincu qu’il fallait puiser dans l’ensemble des cultures populaires, en particulier les cultures amérindienne et afro-américaine. « J’en suis maintenant convaincu, écrivait-il dans le New York Herald en mai 1893. L’avenir de la musique de ce pays s’appuiera sur ce que l’on appelle les mélodies noires. J’y ai découvert tout ce dont j’ai besoin pour imaginer une grande et noble musique qui peut faire école. »  La génération suivante, Duke Ellington, George Gershwin, héros musicaux qu’Angélique Kidjo chante, créa ce « edge effect », écosystème libre de la musique américaine, marqué par l’héritage des diasporas africaines.

Angélique Kidjo et Yo-Yo Ma se sont rencontrés le 11 novembre 2018 sous l’arc de Triomphe, lors du centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale. Au premier regard, ils s’entendent, ils s’écoutent, ils se reconnaissent. Ils ont des valeurs communes : la paix, la protection de « Mother Nature » (titre du dix-huitième album d’Angélique, paru en 2021), et l’éducation. « Et puis, dit encore Yo-Yo Ma, nous ne sommes pas coincés. Nos pensées ne sont pas rigides, pas catégoriques, et ainsi nous trouvons une sorte de vérité musicale ».

Devant plus de soixante-dix chefs d’États, Yo-Yo Ma interprète la Sarabande de la Suite n°5 pour violoncelle en do mineur de J.S. Bach. En hommage aux combattants africains de la première Guerre mondiale, Angélique Kidjo choisit Blewu, une chanson de paix et de patience écrite en langue mina par la Togolaise Bella Bellow, incluse dans son répertoire dès 1989. « Nous étions tous là, parce que, à la fin de la Grande Guerre, on a dit plus jamais, mais il y a eu la Seconde Guerre mondiale, puis à chaque grande tragédie, et à chaque fois, on oublie, c’est très pénible. », poursuit Yo-Yo Ma.

Pour résister aux effets mortifères du confinement de 2020, nos deux désormais complices enregistrent ce Blewu, en duo, voix, violoncelle – que Yo-Yo Ma a inclus dans son album Notes for The Future. « Ce dont nous avons parlé immédiatement avec Angélique, ce fut de la sarabande », poursuit Yo-Yo Ma. Puisant ses origines sans doute ses origines dans le Royaume andalou (Maures, Juifs, Wisigoths…) démantelée par les Rois Catholiques en 1492, la sarabande est apparue en Espagne à la fin du 16ème siècle. L’Inquisition voyait dans cette danse débridée la main Diable, un cadeau fait aux sorcières pour le sabbat. La sarabande migra chez les esclaves africains du Panama, revint en France sous une forme ralentie, proche du menuet de Cour. Au début du 18ème siècle, elle inspira brillamment Haendel, et devint, selon Yo-Yo Ma, le « cœur des six Suites pour violoncelle seul de Bach », qu’il a enregistrées dès 1983.

Croisements de hasards : Angélique Kidjo adore Bach. En 2008, elle entend un mouvement du concerto pour clavier BWV 1056 de Bach, inséré dans le documentaire d’animation Valse avec Bachir, de Ari Folman. Elle y place des paroles en mina, et l’intitule Aisha. « Je l’ai beaucoup chantée dans Mots d’Amour, le récital conçu avec le pianiste classique français Alexandre Tharaud », où figure également La Foule. Archétype de la chanson française, ce titre culte d’Edith Piaf est en réalité l’adaptation par le parolier Michel Rivgauche de Que nadie sepa mi sufrir, composé par l’argentin Angel Cabral, d’après une valse péruvienne.

Angélique est née à Ouidah, elle a fui en France la dictature marxiste du président Kérékou. Yo-Yo est de famille chinoise, et fut très tôt repéré pour sa virtuosité par, entre autres, le violoncelliste catalan et antifranquiste Pablo Casals. Ils sont Français et partage un amour vif de la langue française. Angélique a inclus dans son programme la lecture de L’Horloge, un poème de Charles Baudelaire qui fut le compagnon d’une vie de la comédienne Jeanne Duval, femme créole née à La Réunion.

Trait d’union encore, le plaisir de la musique. Admirateur de la Philosophie des Lumières, Yo-Yo Ma lui retire cependant un point : la séparation du corps et de l’esprit, et la prédominance de ce dernier. « Or, la musique en scelle la fusion, il faut des muscles efficaces pour jouer Bach. Ou pour chanter. Le groove doit être ressenti dans le corps, qui n’est pas un métronome ». Angélique danse, s’empare avec volupté des rythmes, chante sans limites. Yo-Yo Ma joue, partout, avec gourmandise. « Le violoncelle est charnel, je n’essaie pas de sortir le plus beau son du violoncelle, mais de suggérer le son d’un tambour, d’une voix, de l’eau, de l’acier. La flexibilité du violoncelle me permet de suggérer tout ce qui existe dans la nature ».

Angélique Kidjo et Yo-Yo Ma auraient pu se limiter à un duo. Mais ils ont choisi de faire groupe, avec deux musiciens d’origine caribéenne, compagnons de route de la chanteuse, David Donatien (percussions) et Thierry Vaton (piano). Donc, une foi encore, il a fallu inventer, adapter. « Michael Riesman [directeur du Philip Glass Ensemble] a fait un travail remarquable en transcrivant les 110 musiciens de l'orchestre philharmonique en un trio », s’amuse Angélique Kidjo, un nouveau « edge effect » en perspective.

Véronique Mortaigne

Sur la frontière : Angélique Kidjo et Yo-Yo Ma

La rencontre entre Yo-Yo Ma et Angélique Kidjo a de quoi surprendre au premier abord. D’un côté, un enfant prodige, né à Paris de parents chinois, débarqué à New York à l’âge de 7 ans, jouant devant le président Kennedy et, depuis, devant tous les puissants du monde, virtuose aux multiples récompenses, célébré mondialement pour ses interprétations de Bach. De l’autre, une diva africaine à la voix explosive, née à Ouidah, quelques jours avant l’indépendance du Bénin, ayant vécu à Paris et New York, , creusant le sillon de Myriam Makeba et Celia Cruz. Pourtant, le duo qu’ils enregistrent pendant la pandémie de COVID 19 a tout d’une évidence. Blewu, grand succès de la chanteuse togolaise Bella Bellow disparue tragiquement en 1973, est porté par le tissage de l’archet et de la voix à tel point que la distance imposée par le confinement s’efface à l’audition. Repris sur le disque au titre prophétique de Yo-Yo Ma, Notes for the future paru chez Sony en 2021, Blewu (« patience » en langue éwé) ouvre la voie d’un dialogue que les deux artistes poursuivent aujourd’hui sur scène, entourés du percussionniste David Donatien (compagnon de route de Bernard Lavilliers, producteur de Yael Naim) et du pianiste martiniquais Thierry Vaton. Ensemble, ils explorent les croisements, vieux de plusieurs siècles, entre musique classique et musique africaine. Le programme est conçu autour de la sarabande qui hante Yo-Yo Ma depuis plusieurs décennies. « Au cœur daleu répertoire de tout violoncelliste, il y a les suites pour violoncelle de Bach. Et au cœur de chaque suite, il y a un mouvement de danse appelé sarabande. » Yo-Yo Ma attribue l’origine de cette danse, dont les premières mentions apparaissent en Andalousie à la fin du XVIe siècle, aux Berbères d’Afrique du Nord et en fait le symbole, du fait de ses différentes réappropriations en Espagne, en France et dans les Amériques, d’une mondialisation culturelle réussie. « Aujourd’hui, je joue Bach. Moi, un musicien américain né à Paris de parents chinois. Alors qui possède réellement la sarabande ? Chaque culture a adopté la musique, l’a investi de significations spécifiques, mais chaque culture doit en partager la propriété : elle nous appartient à tous. » De la zarabanda devenue sarabande, de l’Afrique à l’Europe et aux Amériques, les deux musiciens proposent de rebrancher les traditions, chacune avec son histoire et ses traits spécifiques, qu’il ne s’agit pas d’abolir, mais de connecter aux autres, en jouant, sans cesse, sur la frontière. Des sarabandes de Bach et de Händel, Zaïde, l’opéra inachevé de Mozart sur la traite négrière, mais aussi des créations contemporaines de Philip Glass, Summertime de Gershwin et Florence Price, l’une des premières compositrices symphoniques afro-américaines.

« Chanter avec un message donne du sens à ma vie ». A 63 ans, Angélique Kidjo a imposé sa voix sur les plus grandes scènes internationales, collaboré avec les étoiles de la pop (James Brown, Peter Gabriel, Carlos Santana), des musiques africaines (Myriam Makeba, Youssou’N Dour, Manu Dibango), du jazz (Diana Reeves, Cassandra Wilson, Branford Marsalis) et de la musique contemporaine (Philip Glass). Avec 17 albums et 5 Grammy Awards à son actif, dont les meilleurs albums de musique du monde pour Eve (2014), Sing (2015) enregistré avec l’orchestre Philharmonique du Luxembourg, Remain in Light (2018) et Mother Nature (2022), elle a été classée parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde par Times Magazine. La  chanteuse a commencé sa carrière en Afrique de l’Ouest, dans le sillage du chanteur et producteur camerounais, Ekambi Brillant, avant de s’installer à Paris au début des années 1980, puis de rejoindre New York à la fin des années 1990, entrelaçant les rythmes ouest-africains de jazz, soul et R&B, salsa et merengue. Aux musiques de l’Atlantique noir qui ont bercé son enfance, elle rend régulièrement hommage, comme dans Celia, un album dédié au souvenir de la Cubaine Celia Cruz. « Quand j’étais enfant, j’ai vu Celia Cruz jouer au Bénin. Son énergie et sa joie ont changé ma vie. C’était la première fois que je voyais une femme puissante sur scène. Sa voix était percussive et ses chansons résonnaient mystérieusement en moi. Bien des années après, j’ai appris qu’elle interprétait des chants yorubas, amenées du Bénin à Cuba 400 ans auparavant. J’ai eu le sentiment de retrouver une sœur longtemps perdue de l’autre côté du monde. Comme moi, elle avait connu l’exil et elle était toujours fière de ses racines africaines. »

Porter haut la musique africaine tout en allant à la rencontre de l’autre dans toute sa diversité créatrice : tel est le message que porte Angélique Kidjo au fil de ses performances. Son timbre puissant se joue des frontières linguistiques et esthétiques. A l’invitation de Timothy Walker, le directeur artistique du London Philharmonic Orchestra, qui pressent que sa voix épousera parfaitement la musique classique, elle travaille La Lamentation de Didon de Purcell, puis collabore avec Philip Glass, qui compose Ifé : Three Yoruba Songs sur ses poèmes, créée à la Philharmonie du Luxembourg en 2014. Cinq and plus tard, Angélique Kidjo lui inspire The Lodger, une symphonie écrite à partir du dernier volet de la trilogie berlinoise de David Bowie, dont la première mondiale a lieu sous la direction de John Adams, avec le Los Angeles Philharmonic. La voix en majesté, l’orgue, les timbales : le compositeur salue « la créativité dans l’interprétation », une marque profonde d’Angélique Kidjo. Du jazz à la création contemporaine, la chanteuse multiplie les incursions dans les genres musicaux les plus divers. En 2020, elle crée le récital Les mots d’amour avec le pianiste classique Alexandre Tharaud, une interprétation puissante et poétique de classiques de la chanson française – d’Edith Piaf à Dominique A. en passant par Charles Aznavour, Claude Nougaro et Serge Gainsbourg. Autres rivages, autres rythmes : Queen of Sheeba, son dernier album en duo avec le trompettiste virtuose Ibrahim Maalouf, propose une fusion originale entre afro-prop, jazz contemporain et musiques orientales. Sur scène, elle possède une « espèce d’évidence qui balaie tout sur son passage », témoigne Alexandre Tharaud. « Ce n’est pas une vague, c’est un volcan ! Aussi cash que dans la vie, elle ne masque rien et va droit au but. Dès les premières notes, on y va, sans se poser de questions ». Sa voix, Angélique Kidjo n’hésite pas à la mettre au service de causes sociales et politiques : le combat contre le racisme, pour la mémoire de la traite et de l’esclavage, la défense des droits des Afro-américains, la marche des femmes contre Donald Trump au lendemain de son élection à la présidence des États-Unis, l’engagement pour l’éducation des jeunes femmes africaines avec sa fondation Batonga. Celle qui, enfant, rêvait de devenir avocate spécialiste des droits humains est aussi ambassadrice de l’UNICEF depuis 2002.

Tisser en musique un dialogue entre les cultures pour lutter contre l’âpreté du monde : le message d’Angélique Kidjo résonne étrangement avec les expériences menées depuis plus de 20 ans par Yo-Yo Ma et le Silk Road Ensemble. C’est à Paris, auprès de ses parents musiciens, que Yo-Yo Ma débute son apprentissage du violoncelle, avant de rejoindre New York et la Juilliard School. Il passe aussi par Harvard, où il obtient un diplôme en arts libéraux et se passionne pour l’anthropologie. Dans les années 1980, il explose sur les scènes internationales, en solo ou en formation de musique de chambre avec des partenaires comme Isaac Stern, Emmanuel Ax ou Gidon Kremmer. Depuis, sa carrière se déploie dans les institutions les plus prestigieuses : il a enregistré 120 disques, gagné 19 Grammy Awards, joué devant 9 présidents américains, obtenu d’innombrables récompenses dont le National Medal of Arts, la plus haute distinction artistique aux États-Unis. En 2006, il a été nommé messager de la paix des Nations Unies et il fait partie, comme Angélique Kidjo, des personnalités les plus influentes du monde selon Time magazine. Car le monde de Yo-Yo Ma ne se limite pas à la musique savante où il excelle. Convaincu que la culture doit « construire des ponts, pas des murs », il crée en 1998 le Silk Road Project, qui donne naissance deux années plus tard au Silk Road Ensemble. Son idée est simple : montrer que la globalisation peut être plus qu’un rouleau compresseur culturel, en offrant à des musiciens du monde entier la possibilité de jouer ensemble. « Mes voyages musicaux ont renforcé ce point de vue », explique-t-il. « Ce que j’ai découvert, c’est que les interactions nées de la mondialisation ne détruisent pas seulement la culture ; elles peuvent créer une nouvelle culture et vivifier et répandre des traditions qui existent depuis des siècles. Les choses les plus intéressantes se produisent parfois à la frontière. Là, les intersections peuvent révéler des connexions inattendues ». Il fait alors de l’histoire des routes de la soie, déjà mise à l’honneur par l’UNESCO, un modèle de collaboration culturelle, réunissant des musiciens issus des pays traversé par cet ancien réseau commercial. Après le West-Eastern Divan Orchestra fondé par Daniel Barenboim et Edward Said, le Silk Road Ensemble reprend le flambeau d’une diplomatie musicale humaniste et sensible, faisant de la musique une pratique commune et une source d’émotions partagées, au-delà des frontières politiques et culturelles.

Mais Yo-Yo Ma fait un pas de côté. La musique, si elle tend toujours à l’universel, ne peut se limiter à la musique classique occidentale. Le Silk Road Ensemble ne réunit pas seulement des musiciens européens, arabes, azéris, arméniens, perses, russes, indiens, mongols, chinois, coréens ou japonais. Il joue leurs musiques, chacun s’engageant à jouer avec l’autre, la musique de l’autre, et participe à l’invention d’un nouveau langage artistique. C’est de cette mise en commun de traditions différentes que naît le répertoire de l’orchestre. Depuis sa création, le Silk Road Project s’est enrichi d’un important volet éducatif, avec des interventions dans les écoles, le développement d’outils pédagogiques et la création d’un institut universitaire à Harvard. Les musiciens interviennent également régulièrement dans les prisons et dans les camps de réfugiés. En 2016, Morgan Neville porte à l’écran cet état d’esprit dans The Music of Strangers, un documentaire consacré aux musiciens du Silk Road Ensemble.

Cette croyance dans le pouvoir de la musique, comme vecteur d’empathie et d’émancipation, est également à l’origine du projet Bach initié en 2018. Deux ans durant, Yo-Yo Ma joue les suites pour violoncelle de Bach sur les six continents. Chaque concert comprend également un programme culturel conçu avec les représentants des communautés locales. La performance qu’il donne sur le pont Juarez-Lincoln qui enjambe le Rio Grande, à la frontière du Mexique et des États-Unis, constitue le temps fort de cette geste musicale. Plus récemment, il a lancé le projet Our Common Nature, qui prône une prise de conscience de l’environnement comme bien commun et futur partagé.

Jouer sur la frontière : l’image est hautement symbolique de cet effort de rapprochement des femmes et des hommes par la musique, comme de la volonté de décloisonner les univers esthétiques partagée par Angélique Kidjo et Yo-Yo Ma. Pourtant les deux virtuoses le savent bien, la musique peut servir autant à faire marcher les hommes vers la guerre qu’à construire la paix et défendre les droits humains. La musique n’est pas en soi bonne ou mauvaise, mais peut être investie de significations multiples. Toutefois, nous disent ces deux grands interprètes, qui sont aussi deux grands optimistes, elle est une force physique qui émeut et bouscule – et nous donne du sens. Une leçon que Yo-Yo Ma a retenue des femmes bushmen, comme en écho au message d’Angélique Kidjo : « Les Bushmen du désert du Kalahari dansent pendant des heures. Les femmes en cercle tapent dans leur main, entrent en trance. Quand je leur ai demandé, ‘Pourquoi faites-vous cela ?’ Elles m’ont répondu ‘Car cela nous donne du sens’. Leur réponse est devenue la mienne depuis cette époque ».

Anaïs Flechet (ce texte a été écrit pour le Philharmonie du Luxembourg)

Angelique Kidjo

voix

En 2011, The Guardian l’inclut dans les 100 femmes les plus influentes au monde. Time Magazine la décrit comme la « plus grande diva africaine ». La BBC la compte parmi les personnalités africaines les plus emblématiques et Forbes Magazine la place en tête des célébrités influentes d’Afrique. Sans nul doute, la chanteuse béninoise Angélique Kidjo est une artiste d’exception. En 2015, elle a reçu le Crystal Award décerné lors du World Economic Forum et en 2016, l’Amnesty International Ambassador of Conscience Award. Renommée pour sa voix envoûtante et sa présence scénique, elle fait dialoguer la musique d’Afrique de l’Ouest de sa jeunesse avec le R&B américain, le funk, le jazz et les styles européens et
latino-américains. Kidjo a déjà remporté plusieurs Grammy Awards dans les catégories « Best Contemporary Album » et « Best World Music Album », respectivement pour Djin Djin et Oyo en 2008 et 2011 et pour EVE et Sings en 2015 et 2016. Elle a notamment collaboré avec le Bruckner Orchester Linz, le Royal Scottish National Opera, la Philharmonie de Paris, le San Francisco Symphony et l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg.

Yo-Yo Ma

violoncelle

Yo-Yo Ma, d'origine chinoise, a étudié à la Juilliard School de New York. Convaincu que la musique peut apporter confiance et compréhension parmi des personnes issues de milieux culturels très différents, il a fondé le célèbre Silk Road Project, comprenant un ensemble international de musiciens qui créent de la musique en s'inspirant de leurs propres traditions. Il a également interprété, sur les cinq continents, l’intégrale des suites pour violoncelle de Bach. Parmi ses nombreux enregistrements, citons le dernier, Beethoven for Three, avec Emanuel Ax et Leonidas Kavakos. En 2022, il a pu ajouter à sa longue liste de récompenses le Birgit Nilsson Prize (2022).

Yo-Yo Ma est représenté par Opus 3 Artists.

David Donatien

percussion

Après 15 ans en tant que musicien de session pour de nombreux artistes en France, David a rencontré Yael Naim en 2004. Ils ont commencé à collaborer et à former un groupe ensemble. Ils ont fondé l label Mouselephant. L'album Yael Naim est sorti en France le 22 octobre 2007. Il a ensuite été publié dans 18 pays grâce au succès de la chanson "New Soul". Utilisée par Apple pour promouvoir son ordinateur MacBook Air, la chanson est apparue dans la plupart des classements internationaux, y compris le Billboard Hot 100, où elle est entrée directement dans le top 10. La même année, Yael Naim a remporté le prix Victoire de la Musique du meilleur album de musique du monde et a entamé une tournée de deux ans avec David Donatien, donnant plus de 200 concerts dans le monde entier.
En 2010, il s'est réuni avec Bernard Lavilliers, avec qui il avait été musicien de session, et a produit la chanson "Sourire en coin", qui figurait sur l'album Causes perdues et Musiques Tropicales (prix Victoire de la Musique du meilleur album). Il a co-produit l'album She was a boy de Yael Naim (prix Victoire de la Musique de la meilleure artiste féminine 2011), sorti le 15 novembre 2010, sur lequel il a composé la chanson "Go to the river". Une tournée de deux ans a suivi la sortie de l'album, passant par l'Europe, les États-Unis, le Japon et l'Amérique du Sud. En 2013, il a produit la chanson "Le jour se lève" pour Mayra Andrade. En collaboration avec Yael Naim, ils ont produit Older, sorti en mars 2015 (prix Victoire de la Musique de la meilleure artiste féminine - 2016).
En 2019, il a produit l'album Celia de la chanteuse béninoise Angelique Kidjo, un hommage à l'artiste cubaine Celia Cruz, qui a remporté en 2020 le Grammy Award du meilleur album de musique du monde. En 2021, ils ont répété l'expérience avec la production de la chanson "One Africa" sur l'album Mother Nature, qui a remporté le Grammy Award du meilleur album de musique du monde.

Thierry Vaton

piano

Musicien martiniquais au style puissant, et à la technicité accomplie. Thierry Vaton dévoile sa passion dès 1972. De la batterie à la flûte traversière, tous les instruments lui conviennent mais c’est le piano qui fera sa carrière. De 1984 à 1987, il étudia au conservatoire et à l’American school of modern music de Paris 5. Pianiste aux notes rebondissantes, Thierry met son talent au service des styles et des cultures les plus diverses. De 1987 à aujourd’hui, Thierry Vaton aura participé à de nombreux concerts et enregistrements studio. Tous les plus grands ont fait appel à son travail de pianiste, d’arrangeur, de compositeur et de réalisateur : Kaoma, Angélique Kidjo, Philippe Lavil, Enzo Enzo, Myriam Makéba, Tanya St Val, Tony Chasseur, Ralph Thamar, Idrissa Diop, Dédé St Prix, Edith Lefel, Zic Band, Jean-Paul Pognon, Jean-Luc Guanel, Nestor Azérot, Dany Brillant, Cunnie Williams, Jean-Philippe Marthély, Patrick St Eloi, Jocelyne Béroard, Zouk Machine, Miss Dominique, Francky Vincent, Karl The Voice, Andy Narell et bien d’autres. 

Au début des années 2000, né l’idée du Mizikopéyi Big Band, suite à une discussion avec Tony Chasseur en sortant de studio. Tony demande alors à Thierry une idée originale, un truc qu’ils n’avaient pas encore fait. Thierry lui réponds alors que son rêve était d’avoir un Big Band antillais. Tony lui confie alors son premier arrangement : Flè bò kay.