Entendre est une chose, écouter en est une autre. Et écouter profondément ? Cela peut prendre toutes sortes de formes et d’intensités, mais selon Pauline Oliveros, l’écoute profonde, ou deep listening, est plus qu’essentielle. Dans la musique, dans l’expérience artistique, voire dans la vie.
Pauline Oliveros
Pauline Oliveros (1932-1916) a grandi à Houston, dans l’État américain du Texas. Elle est issue d’une famille de musiciens : sa mère et sa grand-mère étaient toutes deux professeures de piano. Elle n’a toutefois pas suivi cette voie, préférant l’accordéon et la musique noise aux concerts classiques. Dans les années 1970, elle a collaboré avec des noms prestigieux tels que Steve Reich et Terry Riley, icônes de la musique minimaliste. Elle était également fascinée par les possibilités offertes par la musique électronique et a travaillé au San Francisco Tape Music Center. Après avoir dirigé le Center for Music Experiment de l’Université de Californie dans les années 1970, elle a créé sa propre fondation, la Pauline Oliveros Foundation, en 1985. Elle y a réuni ses différents centres d’intérêt, dont la méditation, dans la pratique du Deep Listening. Avec son groupe Deep Listening Band, elle a également concrétisé ses idéaux musicaux et esthétiques lors de concerts et en studio.
Deep Listening
Pauline Oliveros estimait que l’écoute profonde n’était pas une simple activité ou une attitude d’écoute temporaire. Elle la considérait comme une pratique à vie :
« Plus j’écoute, plus j’apprends à écouter. L’écoute profonde consiste à aller au-delà de la surface de ce qui est entendu, à s’ouvrir à l’ensemble du champ sonore tout en restant concentré. C’est ainsi que l’on entre en connexion avec l’environnement acoustique, tout ce qui l’habite et tout ce qui existe. »
Le Deep Listening invite à distinguer « l’entente » naturelle et inconsciente de « l’écoute » ciblée et consciente. Afin de permettre une concentration maximale sur cette écoute active, il combine conscience corporelle, méditation sonore et performances interactives. En développant cette attitude d’écoute, Pauline Oliveros aspirait également à porter une attention plus profonde aux sons quotidiens, aux sons de la nature et à la conscience des pensées, de l’imagination et des rêves. Tout cela doit contribuer à une perception accrue de l’environnement sonore, à une grande sensibilité au son dans le sens le plus large et le plus profond du terme : les vibrations sonores qui nous entourent, mais aussi les vibrations au plus profond de nous-mêmes.
« L’écoute profonde consiste à explorer les relations entre tous les sons, qu’ils soient naturels ou technologiques, intentionnels ou non, réels, mémorisés ou imaginaires. La pensée en fait partie. »
Une expérience clé dans le développement du Deep Listening conçu par Oliveros a été une performance expérimentale dans un réservoir d’eau souterrain dont le temps de réverbération était de 45 secondes. En raison de l’isolement et de la claustration de cet espace, et parce que même les sons les plus faibles avaient une telle résonance, Pauline Oliveros et ses collègues musiciens ont dû profondément modifier leur façon de jouer et d’écouter.
L’accent mis sur le son et le bruit et l’élargissement de la notion classique d’une œuvre ou d’une partition rappellent la philosophie de John Cage. Lui aussi recherchait l’expérimentation et créait des contextes dans lesquels une attention esthétisante était portée sur les sons quotidiens ou les circonstances fortuites, avec l’emblématique 4’33’’ comme exemple le plus célèbre et peut-être le plus radical. Chez Cage également, l’aspect méditatif et le lien avec le bouddhisme zen étaient très présents. À son tour, Oliveros a également inspiré la pensée de Cage : « Grâce à Pauline Oliveros et au Deep Listening, je sais enfin ce qu’est l’harmonie. (…) Il s’agit du plaisir de faire de la musique. »
Dimension politique/éthique
Le Deep Listening décentralise la relation classique entre le musicien et le public. Les interprétations de la musique ou des concepts de Pauline Oliveros sont souvent des événements collectifs, des expériences qui naissent « dans l’instant présent » et sont partagées par les interprètes et les auditeurs présents. En ce sens, Oliveros n’est pas une compositrice classique, et son œuvre n’est pas une simple énumération de compositions. Elle le résume parfaitement elle-même : « Je n’ai jamais essayé de construire une carrière. J’ai seulement essayé de construire une communauté ». Ce sens de la communauté et de la connexion est le fil conducteur de son œuvre et fait d’elle une artiste fortement engagée socialement. Féministe convaincue, elle s’est battue pour l’égalité des droits, a toujours défendu les personnes de la communauté LGBTQ (dont elle faisait elle-même partie) et a développé plus tard dans sa carrière des instruments électroniques et des aides pour les personnes porteuses de handicaps physiques. L’inclusion est inhérente à la philosophie de Pauline Oliveros : « L’écoute profonde est un droit inné pour tous les êtres humains. » L’attention portée aux sons qui nous entourent a rapidement suscité un réflexe écologique qui s’inscrit parfaitement dans le cadre esthétique et philosophique de l’écoute profonde.
Earth Ears
Earth Ears est ce que l’on appelle une partition à instructions. À l’aide d’indications textuelles, Oliveros crée un cadre dans lequel les interprètes peuvent librement réaliser leur propre version de la partition. Le fait que la musique elle-même ne soit pas consignée dans une partition stricte indique également que l’expérience l’emporte sur un contenu musical précis. Earth Ears est donc un Sonic Ritual, un rituel transformateur. Dans cette interprétation (le 18 janvier à Bozar), les percussionnistes Stéphane Garin, Alexandre Babel et Tom De Cock sont accompagnés par des étudiants du KASK et du Conservatoire de Bruxelles. La composition présente une forme cyclique, chaque cycle se composant de quatre parties : Pattern – Transition – Change – Transition. L’instruction accompagnant le Pattern est la suivante : chaque musicien doit imaginer un motif et le répéter tout au long du morceau. Dans les sections Change, les musiciens peuvent adapter leurs motifs. Les sections Transition servent à passer progressivement d’une section à l’autre. Une interprétation dure au moins quatre cycles et demi, mais peut aussi être (beaucoup) plus longue. Oliveros demande également aux musiciens de se placer de préférence autour du public et de se déplacer éventuellement pendant les transitions.